1562. AU FELD-MARÉCHAL COMTE DE SCHMETTAU A METZ.
Camp de Budin, 31 août 1744.
Vos lettres des 19, 21 et 22 me sont bien parvenues, et je ne veux point douter que celles que je vous ai faites, et adressées au sieur de Klinggræffen, vous seront rendues de même. Vous saurez vous imaginer vous-même combien j'ai été frappé de l'avis inattendu que vous m'avez donné du passage du Rhin du prince Charles, sans que Noailles l'ait attaqué ou molesté en aucune manière. J'avoue que je n'aurais jamais cru qu'on m'aurait manqué dans un cas si important, et, quoique je sois parfaitement persuadé que ce n'est point faute des ordres du Roi, je ne sais pourtant ce que je dois penser d'un tel procédé du ma<262>réchal de Noailles, qui, quant à lui, le couvre de honte et de confusion, et qui, quant à moi, dérange extrêmement les mesures que j'avais prises, car dans quel embarras ne serais-je pas, si, uniquement par la faute des Français, avant que j'aurais pris Prague, le prince Charles venait la secourir ou se jeter dans le fameux camp de Budweis? Aussi veux-je que vous fassiez des plaintes amères au roi de France, et lui en représentiez les conséquences, si l'on néglige encore le conseil que vous avez suppédité de suivre de fort près les Autrichiens par Pforzheim vers Cannstadt à Geislingen pour les y atteindre. J'avoue que je ne sais plus ce que j'aurai à attendre de la France; aussi, pour que je sois en état de prendre mes mesures là-dessus, vous m'avertirez au plus tôt possible par un exprès si on a suivi votre conseil et de quelle manière on l'a exécuté, et 2°, si l'armée impériale, avec les troupes qu'on a promis d'y joindre, sont actuellement en marche pour suivre les Autrichiens et pour entrer en Bavière.
Je trouve excellente la réponse que vous avez faite au maréchal de Seckendorff, et j'approuve fort les mémoires que vous avez présentés à MM, de Belle-lsle et d'Argenson; si de pareils avis ne peuvent pas rendre sages des gens, qui pour leur propre bien, dussent penser de soimême à cela, il n'y a rien plus à attendre d'eux. Je me flatte pourtant qu'on redressera la faute lourde qu'on a faite à l'insu et contre les ordres exprès du Roi, lequel je n'accuse d'aucune manière, sachant bien que, sans l'indisposition qui l'a pris, les affaires auraient pris un tout autre tour. Je viens néanmoins de lui écrire une lettre assez énergique, que vous trouverez ci-close avec sa copie. Vous vous concerterez avec Chambrier sur l'usage que vous en ferez et sur la façon dont vous vous prendrez pour la présenter à Sa Majesté Très Chrétienne. Bien que vous ayez à faire des plaintes amères contre le procédé du maréchal de Noailles, vous n'aigrirez pourtant trop le roi de France et tâcherez, en lui présentant ma lettre, de le tranquilliser sur les expressions un peu fortes qui y sont, en lui représentant toutes les raisons de la juste douleur que j'avais eue sur l'événement passé, et les suites qui en pourraient résulter, si l'on ne répare pas, par des efforts bien prompts et efficaces, la faute qu'on a faite. Je n'ai pas voulu faire mention de la demande d'un autre général,262-1 afin de ne pas me mêler trop des affaires du Roi.
Je suis fâché de la disgrâce de la duchesse de Châteauroux. Quant à la demande que le comte d'Argenson vous a faite de la part du Roi son maître, de lui communiquer ce qui m'est revenu depuis la catastrophe du marquis de La Chétardie, vous saurez que, depuis son départ de Moscovie les affaires de Russie sont encore dans le même état d'incertitude qu'elles ont été avant ce temps là, que Tyrawley n'a gagné guère de pays, quoique par ses libéralités il ait gagné tout-à-fait les Bestushew, mais que nonobstant cela, parceque le comte Woronzow, <263>qui de tout temps a agi fort honnêtement avec moi, vient d'être nommé son collègue et déclaré vice-chancelier, on m'assure comme d'une chose sûre qu'on ait déclaré à Tyrawley qu'on ne donnerait point de secours au roi d'Angleterre pendant cette année, et qu'on verrait ce qu'il y a à faire dans celle qui suit. Quant au système actuel de la Russie, il est bien difficile d'en donner une juste idée, n'ayant presque point de système ferme, et changeant souvent de noir en blanc; c'est pourquoi je crois qu'il faut instruire Aillon d'être fort attentif sur tous les changements qui y arrivent de temps en temps, et de se régler sur les conjonctures ; mais le point principal de son instruction doit être de bonnes pièces sonnantes, sans quoi le plus habile négociateur ne fera que de l'eau claire. Je ne saurais finir cet article sans vous dire encore que je suis extrêmement surpris de ce que tout va à la cour de France dans une si grande lenteur, et qu'on se fait un préjudice extrême, si on n'a pas encore dépêché Aillon avec ordre d'aller jour et nuit pour arriver au plus tôt possible en Moscovie. H est de même du comte Séverin, qui devait être déjà à Varsovie, et avant le départ du roi de Pologne vers Grodno, puisque les plats y sont dans une très grande crise. Ce que vous ne manquerez pas d'insinuer d'une manière convenable là où il le faut. Je suis fort obligé au maréchal de Belle-Isle des ingénieurs qu'il me veut envoyer, je voudrais qu'ils fussent, déjà arrivés, mais je crains qu'ils n'arrivent qu'après coup. Sur cela, je prie Dieu etc.
Federic.
Après demain, toute l'armée sera à Prague, et le canon le 6 de septembre.
Nach der Ausfertigung. Der Zusatz eigenhändig.263-1
262-1 Schmettau batte berichtet (22. August): „Belle-Isle et d'Argenson sont persuadés que c'est le temps que Votre Majesté demande au Roi un autre général.“
263-1 Schmettau hat diesen Erlass den König von Frankreich wörtlich lesen lassen. (Bericht vom 16. Sept.).