1635. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A MOSCOU.
Quartier général à Nachod, 30 novembre 1744.
J'ai bien reçu vos relations des 19, 22, 26 et 31 du mois d'octobre dernier. Quoique les particularités que vous m'avez mandées dans celle du 31 dudit mois, m'ont donné assez de satisfaction, par les sentiments d'amitié que l'Impératrice témoigne de vouloir continuer envers moi, et par le peu de part qu'elle paraît vouloir prendre aux affaires d'Allemagne, néanmoins, comme ce ne sont proprement que des propos vagues, tenus dans la chambre, et qui ne décident de rien ni sont de nature à y pouvoir tabler, et qu'outre cela vous savez que ce n'est pas l'Impératrice, mais plutôt ses ministres qui font les affaires en Russie, il me faut savoir avec bien plus de précision, et d'une manière à y pouvoir compter sûrement, ce que j'ai à craindre ou à espérer de la Russie; aussi, par la manœuvre que la Saxe a actuellement faite, en envoyant un corps de troupes si considérable en Bohême, et par tous les autres arrangements que la cour de Saxe continue de prendre et qui ne visent sur autre chose que de me tomber sur le corps, les affaires deviennent si sérieuses et si critiques qu'il m'est d'une nécessité absolue de savoir au juste où j'en suis. Tout le monde convient que par l'envoi des troupes <330>saxonnes en Bohême la cour de Saxe n'a cherché qu'à se frotter ouvertement à moi et à assouvir la rage, la haine et la jalousie qu'elle a tenues contre moi et ma maison depuis bien du temps; après qu'elle a fait ce premier pas, qu'est ce qu'elle ne met pas en œuvre pour révolter tout le monde contre moi? Et quels préparatifs ne fait-elle pas sous main afin de m'assaillir avec succès et de me prévenir en cela, s'il est possible?
J'espère que mes ministres du département des affaires étrangères ne vous auront pas laissé ignorer combien d'insinuations les plus malicieuses les ministres saxons aux cours étrangères ont faites contre moi. Vous savez ce qui s'est passé sur cet article en Russie, et combien de projets préjudiciables à mes intérêts ils y ont proposés ; vous savez de même avec quelle chaleur ils ont travaillé à faire constater la quadruple alliance à vous assez connue. Que font-ils autre chose à présent en. Pologne, sinon que de tâcher d'animer la nation polonaise contre moi par toutes sortes d'insinuations? Et s'occupent-ils à autre chose pendant la diète présente de Grodno qu'à disposer la République à une augmentation des troupes, et qu'à la faire entrer en alliance avec la reine de Hongrie, uniquement dans le dessein de m'envoyer les Polonais sur le corps? Quel vilain tour n'ont-ils pas tâché de jouer à mes ministres à Grodno, dont, j'espère, vous serez déjà informé! En Saxe, on travaille actuellement à faire des amas de magasins pour un grand corps d'armée à Wittenberg, à Torgau et dans la Lusace; on répare les fortifications, on fait des amas d'artillerie, on veut augmenter les troupes par des recrues qu'on tâche de faire sous main en Pologne, et je suis assez bien informé que, pour en venir d'autant plutôt à bout, on a sollicité plusieurs grands de Pologne de leur céder les gardes que ceux-ci ont sur pied. A Fürstenberg, ville saxonne dans la Lusace et joignante à l'Oder, ils ont tout récemment fait construire un pont, où de mémoire d'homme il n'en a pas été, qu'ils font garder d'un détachement de 500 hommes, duquel pont ils ne peuvent faire autre usage que de faire venir clandestinement, et sans me requérir pour le passage, des troupes de Pologne vers la Saxe. Il y a peu de semaines qu'on s'est saisi dans mon pays d'un nombre considérable de caisses qu'on voulait envoyer de Fürstenberg en Pologne, et auxquelles le ministre Hennicke à Dresde avait joint un passe-port signé de sa main, comme s'il n'y avait dedans que des meubles et des fourneaux appartenants au chambellan d'Unruh; néanmoins, comme mes douaniers en ont pris soupçon et ont visité ces caisses, on n'a trouvé que des pistolets, des carabins et des sabres.
Par toutes ces manœuvres, il est aisément à juger ce que j'ai à attendre des Saxons, et comme il m'est donc impossible de me laisser imposer plus longtemps si grossièrement des Saxons et de leur laisser tout le temps pour me prévenir, il ne pourra guère manquer, si cela continue de la manière qu'il a commencé, que je ne sois obligé, à la fin, de me défendre contre leurs entreprises et de dégainer avec eux le printemps qui vient.
<331>Comme la Saxe est en alliance avec la Russie, mais que celle-ci l'est aussi avec moi, et que la Russie m'a promis par son traité son assistance en cas que je fusse attaqué, voilà le casus foederis qui me met en droit de réclamer de la Russie l'assistance qu'elle m'a promise. Ainsi donc, il faudra à présent que je sache à quoi me tenir avec elle, savoir si elle veut prendre fait et cause dans cette querelle, et auquel traité elle se veut tenir alors, c'est-à-dire, à celui qu'elle a avec moi ou à celui qu'elle a avec la Saxe, ou si la Russie aimera mieux de rester neutre alors et de se mêler plutôt de la pacification, en déhortant les Saxons de n'agir plus hostilement, soit directement soit indirectement, contre moi, et de retirer plutôt les troupes qu'elle a en Bohême. Voilà sur quoi vous devez parler, d'une manière convenable, au ministère russien et surtout à Woronzow et mes autres amis en Russie, et joindre alors adroitement des libéralités, pour me gagner ces gens dans l'affaire dont il s'agit. Et comme le temps me presse extrêmement, pour que je ne sois plus sur cette affaire dans le même état d'incertitude que je suis jusqu'à présent, j'attends que vous ne perdiez plus de temps et me mandiez alors bien naturellement par une relation assez détaillée, que vous enverrez en toute diligence par un courrier, ce que j'ai à craindre ou à espérer de la Russie.
Quant au succès que vous souhaitez d'apprendre d'une bataille entre moi et le prince Charles, il faut que je vous dise qu'il n'est point si aisé de donner bataille quand on veut, dans ce pays-ci, qui est si montueux, si fourré et difficile qu'il est rempli, de quart de lieue en quart de lieue, de défilés, de marais, d'étangs et de bois très touffus, ainsi que, si l'ennemi ne veut point combattre, il est impossible de l'y obliger. J'en ai fait l'épreuve à trois au quatre différentes reprises, où je suis marché tout droit à l'ennemi, et où j'ai tout fait au monde pour l'obliger à une bataille ; mais il a toujours su se poster, par l'aisance que ce pays-ci lui a donnée à cela, de la manière qu'il a été absolument impossible de venir à lui. Aussi faut-il que j'avoue que l'ennemi a pris fort sensément ce parti de ne vouloir point combattre, puisque par là il s'est non seulement sauvé, mais m'a obligé, faute de subsistance qui commençait à me manquer absolument, de me replier avec mon année vers les frontières de la Silésie, pour l'y faire subsister; ce dont vous serez parfaitement instruit par la relation détaillée que je vous enverrai en peu de temps de toute la campagne passée. En attendant, je puis vous assurer, sans blesser la modestie ni la vérité, que, si jamais l'ennemi avait voulu hasarder une bataille, il aurait, selon toutes les apparences, fort risqué, puisque dans toutes les petites occasions où quelques-unes de mes troupes sont venues aux mains avec celles de l'ennemi, ces dernières ont toujours eu le dessous, quoique pour la plupart elles aient été supérieures en nombre. Après cela, quoiqu'il ne me soit pas agréable que faute de subsistance je me suis vu obligé de me replier vers les frontières de la Silésie, je suis néanmoins toujours bien résolu de rentrer l'année <332>qui vient en Bohême, d'abord que la saison le permettra, si en attendant une pacification en Allemagne ne met fin à cette guerre.
Federic.
Nach dem Concept.