1739. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION COMTE DE PODEWILS A LA HAYE.

Berlin, 28 février 1745.

J'ai reçu votre dépêche du 21 de ce mois, touchant l'entretien que vous avez eu avec milord Chesterfield. Mais je vous avoue que je n'ai guère eu lieu d'être édifié des discours que ce ministre vous a tenus, et qui sont diamétralement opposés à sa façon de penser avant qu'il soit rentré dans le ministère.

Mon intention est donc que vous tâchiez sans délai de trouver une occasion favorable pour lui faire entendre, quoiqu'avec toute la politesse imaginable, que je le prie de remarquer une chose: c'est que jamais des nœuds d'amitié ne peuvent être solides entre deux princes, si leurs intérêts ne servent de base; qu'il n'y a pas d'autres engagements entre de grandes puissances que ceux de cette nature; qu'à la vérité il y a des situations violentes en politique, où souvent des intérêts assez opposés d'alliés se soutiennent pendant un temps, mais ces situations ne sont que momentanées, et les véritables intérêts des princes qui servent de règle à leur conduite, les entraînent tôt ou tard et les ramènent à leurs véritables principes.

J'avoue qu'on doit excepter de cette règle générale de certains princes qui, s'abandonnant entièrement aux lumières de leurs ministres, se laissent pour la plupart du temps gouverner par des guides corrompus; et comme il s'agit ici des alliances que des hommes fondés sur des principes raisonnables peuvent contracter avec d'autres, et non pas des actions d'automates, il faut établir des principes qui réunissent les<68> intérêts des parties contractantes. Que milord Chesterfield raisonne parfaitement bien, en supposant qu'il n'y a que l'Angleterre au monde; mais que je le prie de penser que ce raisonnement, tout bon qu'il pourrait être pour un Anglais, n'est pas si évident pour un Prussien; que lord Chesterfield n'étant pas autant intéressé que moi à la conservation de la Silésie et au rôle qu'il me convient de jouer en qualité d'un des principaux électeurs d'Allemagne, ne sent pas la différence très réelle qui se trouve pour moi entre un empereur qui réside à Vienne ou un empereur qui réside en tout autre endroit de l'Allemagne; qu'il n'y a aucune loi dans l'Empire par laquelle la dignité impériale doit être héréditaire dans une maison; que, bien loin de là, cette dignité est élective et par conséquent devrait changer d'une maison à l'autre.

Que dans toutes les affaires du monde, il faut un avantage réciproque; que, Dieu merci, je ne me vois pas obligé à demander la paix à genoux, et je compterais d'avoir fait un très mauvais marché que de mettre la couronne impériale sur la tête du duc de Lorraine, pour me procurer simplement la paix sans d'autres avantages; que je me trouve encore en situation de faire plus de mal à la reine de Hongrie qu'elle ne le pense, et qu'une première campagne infructueuse ne décide en rien du succès de la suivante; que si j'avais fait des fautes, je les réparerais, et que par conséquent la cour de Vienne, loin d'avoir rien gagné l'année passée, a peut-être tout à appréhender celle-ci. Que si j'avais maintenant des dispositions pour renouer mes anciennes liaisons avec l'Angleterre, il fallait que ce fût toujours sur le principe que nous y puissions trouver nos avantages mutuels; qu'il y a des moyens pour concilier les intérêts réciproques, et que certainement, si l'Angleterre en avait bien envie, l'affaire ne pouvait pas manquer de réussir; que ce n'était pas la nécessité qui m'obligeait de faire des avances, mais le désir sincère de rétablir la paix et la tranquillité en Allemagne; que la mort de l'Empereur, finissant les engagements que j'avais avec la France, me mettait en quelque façon en liberté de prendre telles mesures que bon me semble; que l'on pourrait sûrement compter sur ma fermeté, dès qu'on aura pu convenir des conditions justes et raisonnables à mon égard, où je puisse trouver en même temps mes sûretés et mes intérêts; car, à la paix de Breslau, milord Carteret m'avait dupé d'un grand morceau de la Haute-Silésie. Que l'Angleterre n'avait jamais voulu engager ni la Hollande ni la Russie à me garantir la Silésie; que ce procédé, quoi qu'on en puisse dire, n'était pas honnête, et qu'en commençant par de mauvais procédés le jour d'un accommodement, il n'était pas étonnant que les suites en ont été telles qu'on les a vues. Que je ne sais pas de quelle façon on pense en Angleterre sur mon sujet, ni quels desseins on peut y avoir tant sur l'Allemagne que sur l'Empire en général, et peut-être même quel venin on y nourrit contre moi; mais que je les avertis que, s'ils ne faisaient pas usage<69> du moment présent, il serait peut-être en suite impossible d'avoir aucune liaison ensemble; que dans les conjonctures aussi critiques que celles-ci il ne m'est pas possible de rester dans l'inaction, et qu'ainsi trouvant peut-être de la mauvaise volonté ou des principes entièrement irréconciliables avec mes intérêts trop fortement enracinés en Angleterre, je me verrais obligé de contracter des engagements plus indissolubles avec la France.

Que j'abandonne aux retheurs et aux jurisconsultes à disputer sur des mots et à décider qui a été l'agresseur, la reine de Hongrie ou moi; que tout roi de Prusse dans la situation où je me suis trouvé au printemps de l'année 1744, s'il avait voulu se conduire conséquemment, n'aurait pu agir autrement que je l'ai fait. Mais que j'abandonne l'examen des choses passées, et que dans ce moment-ci la grande et la plus importante question est de penser à l'avenir; que je ne veux point entrer dans des détails des intérêts que le roi d'Angleterre peut avoir à s'unir avec moi, ni des raisons qui pourraient l'y porter; qu'une fois mon parti est pris, et que, si je trouvais toutes les portes fermées en Angleterre, je mettrais ma ressource dans l'alliance de la France, dans les conjonctures qui pouvaient extrêmement changer en ma faveur, et dans mon courage; et quoi qu'il en puisse arriver, je prie lord Chesterfield de croire que je ne l'en estimerais pas moins et que j'aimerais même sa personne en agissant contre ses principes. Vous pouvez laisser lire cette dépêche à lord Chesterfield, sans lui en donner toutefois une copie ou la lui laisser prendre.

Federic.

H. Comte de Podewils.

Vous ajouterez à tout ceci que les grands princes ne font rien pour les beaux yeux l'un de l'autre, et que le roi de Prusse veut bien être ami de ses alliés, mais qu'il ne veut jamais être leur esclave, ni s'abandonner aveuglément à la direction de personnes qui, ne pensant uniquement qu'à ce qui peut leur convenir, lui feraient faire sans cesse de lourdes fautes contre ses propres intérêts; et qu'il n'y a aucune alliance et lien dans le monde qui puisse être regardé valide, si les intérêts communs et réciproques ne le forment; que, de même, dans tout contrat, dès que tout l'avantage est d'un côté, et rien de l'autre, cette disparate rompt l'engagement.

Nach dem Concept.69-1 Der Zusatz nach Abschrift der Cabinetskanzlei.

<70>

69-1 Das von Podewils unterzeichnete Concept ist lediglich eine Abschrift dessen, was der König dem Cabinetssecretär Eichel „Allerhöchstselbst dictiret“ hatte; Eichel schickt dieses Dictat am 27. Februar dem Minister, der es nach der Verfügung des Königs in der Ministerialkanzlei (unter Contrasignatur) ausfertigen lassen soll.