1828. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

Ciment, 8 mai 1745.

Mon cher Podewils. Soyez persuadé, je vous prie, que je vois la dureté de ma situation aussi bien que vous, et peut-être encore plus vivement. Je ne me flatte point sur ce que je désire, et après tant de coups de fortune successifs qui m'ont été contraires, je serais bien ridicule de vouloir me flatter d'espérances mal fondées ou me peindre des objets en beau qui, quoi que l'on puisse dire, sont très désagréables. Mais à quoi me servirait de prévoir tous les malheurs, si je n'imagine pas le remède en même temps pour les corriger?

Je vais vous faire à présent le tableau politique de notre situation tel que je l'imagine: tout ce que je vois clair, tout ce que je devine, et tout ce que j'en combine par les relations de mes ministres.

Il paraît sans doute que le ministère britannique a d'autres idées que celles du Roi; je suppose même que l'Angleterre négocie doublement, savoir que le ministère presse la reine de Hongrie de faire sa paix avec moi, sur le pied de celle de Breslau, et que le roi d'Angleterre fait faire des insinuations sous main à Vienne pour fortifier les sentiments de vengeance de cette Princesse. Je vais plus loin, et je pousse la conjecture jusqu'à me persuader que le roi d'Angleterre, pour fortifier le roi de Pologne dans la haine qu'il a contre moi, l'incite à faire, conjointement avec la reine de Hongrie, une tentative sur la Silésie. Peut-être que l'argent venu d'Hanovre et que l'on a arrêté dans le pays de Halberstadt, est une avance que le roi d'Hanovre lui fait pour le mettre plus en état de me nuire.147-1

Souvenez vous du discours que Chesterfield tint à votre neveu, au mois de janvier,147-2 où il trouvait des choses si incompatibles dans l'accommodement que l'on pourrait négocier entre moi et la reine de Hongrie, et comparez-le au langage que le Greffier et le Grand-Pensionnaire tiennent à votre neveu, à propps de quelques particuliers de ce pays-là,147-3 et vous verrez, si vous ne voulez pas vous aveugler, que le traité de Varsovie147-4 contient dans son huitième article tout le venin qui est prêt à se répandre sur nous. On a stipulé assurément le partage de la Silésie entre la reine de Hongrie et le roi de Saxe, et c'est dont on fait mystère jusqu'au moment de l'exécution. Le duc de Weissen<148>fels est à l'armée, le chevalier de Saxe aussi, le prince Charles y est depuis huit jours passés, tout cela ne sont point de dispositions pacifiques. Ainsi, il faut s'attendre de jour à l'autre à une irruption. Par la connaissance du pays que j'ai, et par la disposition des magasins, je puis juger que les Autrichiens ne peuvent pénétrer en Silésie que par la Lusace, et, quoi qu'ils fassent, mes dispositions sont faites pour tous les cas. Nous n'avons d'autre ressource que dans la décision d'une action générale. Les ennemis ne la sauraient éviter ici, et mon année est dans une bonne disposition. J'ai remonté l'esprit de tous mes officiers sur le ton que je puis désirer, je leur ai inspiré de la gaîté et de la confiance, et nous ferons tous notre devoir et scellerons de notre sang que les ennemis se méprennent, s'ils pensent qu'ils nous peuvent traiter avec indignité ou nous faire commettre une action qui blesse l'honneur de l'État et l'honneur de chacun de nous en particulier.' Mes dispositions' restent, d'ailleurs, telles que je vous les ai détaillées en dernier lieu, tant de ce côté que de celui de Magdebourg. N'oubliez point d'envoyer cette lettre que je vous ai tant recommandée en France, dès que vous serez éclairci de ce qui se passe en Angleterre.

Je ne trouve point à propos de faire pour le présent de démarches ultérieures à Dresde pour nous rapprocher, puisque je les juge inutiles et qu'on pourrait les imputer à la timidité que leurs arrangements nous inspirent. Voyez d'ailleurs le peu d'apparence que nous pouvons avoir de faire quelque impression sur l'esprit d'une cour vendue à nos ennemis, et qui dans les premiers délires de sa fièvre chaude n'a pas le pouvoir de marquer de la docilité aux conseils de la raison et aux voies de conciliation qu'on pourrait lui suggérer. Cette haine, cette fureur, cette jalousie que nous avons depuis longtemps vu que cette cour avait contre moi, était un feu qui couvait sous les cendres, mais qui va devenir un incendie et un embrasement général depuis qu'on s'imagine à Dresde d'avoir gagné une supériorité sur moi, par ma retraite de Bohême. Si un orgueil démesuré, et qui se déborde de tous les côtés comme un torrent, est un de ces signes certains qui sont comme les avant-coureurs de la chute des empires,148-1 nous avons grand lieu d'espérer que c'est ici l'époque d'humiliations et de la reine de Hongrie et des Saxons. Mais ne pénétrons point dans l'avenir, parlons par nos actions et laissons au temps et au destin — s'il y en a un — à débrouiller le cahos de ces matières.

Je vous envoie ci-joint une lettre à cachet volant pour la Reine douairière, que vous lui insinuerez en temps et lieu.148-2

Je crois que vous vous étonnez de me voir si tranquille, dans la crise la plus violente où j'aie été de ma vie. Je vous réponds à cela que j'ai été obligé de gagner beaucoup sur moi, avant que de me procurer cette impassibilité. Si l'on veut conserver cette liberté d'esprit<149> si nécessaire dans les circonstances où je me trouve, il n'y a pas d'autre moyen que de prendre son parti sur tous les événements qui peuvent nous arriver. Je suis, grâce au Ciel, à présent dans une situation d'esprit qui me permet de travailler de sangfroid à tous les grands arrangements que je suis obligé de faire. Je n'en ai pas moins souffert intérieurement, mais il ne me reste de ressource que dans une action de vigueur, et, du reste, j'ai pris mon parti sur tous les événements. Je n'en suis pas le maître, ainsi je n'y puis faire de changement; j'agirai, cependant, avec toute l'application imaginable, j'employerai toute l'étendue de mes peu de lumières, et, si nous en venons aux mains, j'employerai toute la prudence et toute la vivacité imaginables, et je me ménagerai aussi peu que le moindre soldat, pour vaincre ou périr. Je vous avoue que je joue grand jeu, et que, si tous les malheurs du monde se conjurent sur ma tête dans une pareille occasion, je suis perdu, mais il n'y a point d'autre parti à prendre, et de toutes les choses que je puisse imaginer dans la situation où je suis, la bataille est l'unique qui me convienne: cet émétique décidera en peu d'heures du sort du malade.

Adieu, mon cher Podewils, tranquillisez-vous par la même raison, travaillez avec cette assiduité que je vous connais, et remettez-vous, au reste, à ce que les conjonctures amèneront.

Federic.

Dans ce moment, je viens de voir le chiffre de votre neveu et la conversation du milord Chesterfield.149-1 Cela ne confirme que trop ma conjecture. Il faut que Cagnony revienne sur-le-champ à Berlin, dès que les Saxons auront passé les frontières de la Silésie.

La Reine douairière souhaite que l'on mette Bielfeld auprès de mon frère Ferdinand, je vous prie de vous charger de cette affaire, car je suis si occupé qu'il m'est impossible d'entrer dans ce détail.

Federic.

Nach der Ausfertigung (praes. 13. Mai). Eigenhändig.



147-1 Vergl. S. 140.

147-2 Februar. Vergl. S. 67.

147-3 Vergl. S. 109.

147-4 Vergl. S. 83.

148-1 Vergl. Racine Athalie, Act I, Scene 2.

148-2 Siehe Œuvres XXVI, 70.

149-1 Haag 30. April. Chesterfield hatte dem Gesandten u. A. gesagt: „Que sa cour avait souhaité la paix pendant un temps sincèrement, mais qu'elle n'avait pas rencontré les mêmes dispositions auprès de ses alliés.“ .