1934. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.

Camp de Chlum, 25 juillet 1745.

Mon cher Podewils. La poste d'aujourd'hui me met dans un grand embarras; je n'ai point encore de réponse de Dresde, et je suis fort incertain de ce qu'elle contiendra. Si contre toute apparence elle est favorable à nos vues, c'est une grande ressource pour nous, et il faut conclure au plus vite avec cette cour-là; mais, aussi, en cas qu'elle fût défavorable, il ne me reste que deux partis à prendre, dont l'un est de rester attaché à la France et d'attaquer la Saxe, ce que je puis faire, ayant tout arrangé pour cet effet; l'autre est de négocier notre accommodement par l'entremise de l'Angleterre.

Ces deux derniers partis sont également dangereux.

Dans le premier, il s'allume une nouvelle guerre sur mes frontières, et les acheminements pour la paix s'écarteront au heu de se rapprocher; mais les raisons qui doivent me déterminer à prendre cette grande résolution, sont que la Saxe, après l'élection du duc de Lorraine, et après que l'Empire se déclarera peut-être contre moi et la France, voudra poursuivre ses desseins de conquête et de partage et m'attaquera, secondée de conjonctures favorables; l'autre est qu'il est nécessaire de faire repentir un prince voisin de la facilité qu'il a eue de se prêter en tout aux vues de mes ennemis et d'y entrer à tête baissée, et que, si °n ne lui témoigne pas son ressentiment par des effets palpables, il attribuera à ma faiblesse ce qu'il devrait mettre sur le compte de ma Prudence et de ma modération, et qu'une conduite si mesurée de ma Part pourrait l'enhardir pour tenter dans un autre temps une entreprise où il y a si risquer pour lui.

Si je me détermine pour les négociations et la paix qu'il paraît que le ministère d'Angleterre veut nous ménager, je tombe dans d'autres<234> inconvénients, qui ne sont pas moins dangereux. J'abandonne par ce parti la France, avec laquelle il n'y aura plus moyen de renouer, et dont je ne pourrai jamais me promettre de secours ni d'assistance. Je me remets en quelque façon à la discrétion des Anglais, je me soumets au joug cruel et dur du tyran lorrain, trop instruit par les discours des ministres anglais de la jalouse envie avec laquelle l'orgueilleux et dédaigneux monarque hanovrien envisage ma puissance pour oser me fier à ses garanties, et, en un mot, je me trouve environné d'ennemis et sans aucun allié. Il faut avouer cependant que de puissantes raisons semblent balancer celles-ci. Nous avons vu par les effets le peu d'assistance que nous tirons de l'alliance des Français, les fausses mesures du ministère, le peu de vigueur de leurs opérations, excepté celles en Flandre, l'impossibilité de l'entreprise d'en tirer des secours suffisants en argent; le prince de Conty prêt à abandonner ces bords-ci du Rhin, l'élection du duc de Lorraine comme une chose presque assurée, l'Empire préparé à se déclarer le moment d'après, et, par tant d'événements contraires, notre situation mise dans un état plus scabreux et plus incertain que jamais; et quoique toute paix particulière ne puisse être regardée que comme un mauvais palliatif, on peut la regarder cependant, faite sous la garantie des Puissances maritimes et de l'Empire, comme une trêve qui nous laisse le temps de respirer et qui éloigne pour quelques années l'orage qui allait éclater sur notre tête.

Examinons à présent tous les événements heureux qui peuvent nous arriver; il n'y en a point à espérer de la part du prince de Conty, mais si le roi de France soutient ses prospérités en Flandre, il pourra peut-être détacher la Hollande de la grande alliance; ceci serait beaucoup, si la maison d'Autriche ne gagnait pas par l'élection du Grand-Duc tout l'Empire pour remplacer les Hollandais.

Les nouvelles d'Italie sont les plus favorables; le roi de Sardaigne menace, si on le laisse dénué des secours qui lui sont dus par le traité de Worms; mais suivons pour un moment la conduite du nrinistère de Vienne. On verra qu'il emploie toujours ses forces successivement, et qu'il parait quelquefois négliger une partie pour redoubler ses efforts du côté où il veut se procurer une supériorité certaine, ou après avoir mis fin à la guerre qu'ils ont avec moi d'une façon ou d'autre, ou bien après avoir engage l'Empire dans la guerre qu'ils méditent de lui faire déclarer à la France. Jugez donc bien que tout ce qui peut arriver de changement en bien ou en mal, n'influe en rien pour me rendre le poids de la guerre plus facile à porter, et qu'il est plutôt à craindre que des événements fâcheux ne m'obligent à y succomber.

Voilà un tableau bien vrai et bien exact de la situation actuelle de notre politique. Vous pensez : le tableau est juste, mais il faut conclure. Voici donc ce que je pense. H faut attendre la réponse de Dresde, et l'on peut faire en même temps les propositions suivantes au roi d'Angleterre, sous la condition indiquée par votre neveu, s'entend<235> de demander une réponse catégorique, dans un terme fixe que vous marquerez, sur la possibilité de la chose. Les conditions premières sont la possession de toute la Silésie avec les enclavures de la Moravie, au pays de Teschen près, et une somme de trois millions, payée dans un certain temps, pour m'indemniser des dommages que j'ai soufferts. Ajoutez à cela les garanties les plus respectables et tous les liens dont la prudence humaine se sert pour contenir la mauvaise foi des princes. S'il n'y a rien à espérer en entier sur les premières conditions, il faut se roidir sur le chapitre de l'argent comptant et tirer tout le parti que l'on pourra d'un fort mauvais marché que l'on est obligé de faire. Mandez-moi au plus tôt possible vos sentiments sur tous ces points, et avouez que vous êtes obligé de vous écrier avec moi: O profondeurs, ô abîmes, l'esprit humain ni tous les politiques de l'univers ne peuvent pas vous pénétrer ni vous éclaircir!

Federic.

Sur quoi, je prie Dieu etc.

P. S.

Quant à la lettre de rappel pour Andrié dont vous m'avez envoyé l'expédition, je l'ai signée. Vous la garderez néanmoins encore auprès de vous et n'en ferez pas usage jusqu'à ce que vous ayez mes ordres ultérieurs là-dessus.

Federic.

Nach der Ausfertigung.