2211. INSTRUCTION POUR MON MINISTRE D'ÉTAT, LE COMTE DE PODEWILS,78-1 ALLANT A VIENNE EN QUALITÉ D'ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE ET DE MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE.78-2
Berlin, 1er mai 1746.
1° Les preuves de capacité, de fidélité et de zèle que mon ministre d'État, le comte de Podewils, m'a données dans les commissions que je lui ai confiées jusqu'ici, m'ayant déterminé à l'envoyer à Vienne en qualité de ministre plénipotentiaire et d'envoyé extraordinaire, il s'arrangera de la sorte qu'il puisse se mettre en chemin au premier ordre.
2° Le principal objet public de sa mission étant de féliciter l'Empereur sur son avénement à la couronne, le comte de Podewils, aussitôt qu'il sera arrivé à Vienne, s'adfessera d'abord au chancelier de la cour, le comte d'Ulfeld, de même qu'au Président du Conseil Aulique et au Vice-Chancelier de l'Empire,78-3 ou à tel autre ministre que mon résident, le sieur de Græve, lui indiquera, et auquel il présentera la copie de ses lettres de créance pour l'Empereur et lui exposera avec un compliment convenable le sujet de sa commission, en le priant de lui procurer une audience particulière.
3° Il fera la même communication de ses lettres de créance pour l'Impératrice-Reine au comte d'Ulfeld, chez qui il se fera annoncer et lui rendra sans difficulté la première visite, ainsi que cela se pratique à Vienne, en le priant de vouloir bien demander pour lui le jour et l'heure de sa première audience particulière auprès de cette Princesse.
4° Bien que mon intention ne soit pas que ces audiences soient publiques, et qu'il suffit que le comte de Podewils les prenne en particulier, il sera toutefois attentif qu'on les lui donne avec les mêmes marques d'honneur et de distinction que l'on accorde en pareille occasion aux autres ministres des têtes couronnées, revêtus d'un caractère égal au sien.
5° Dans l'audience auprès de l'Empereur, il lui remettra sa lettre de créance, qu'il trouvera ci-joint en original, et il le félicitera de ma part dans les termes les plus obligeants, mesurés néanmoins et éloignés de bassesse, sur son élévation à la dignité d'empereur et de suprême chef de l'Empire, en lui souhaitant un long et heureux règne. Il y ajoutera avec le même ménagement les protestations accoutumées de considération, d'estime, d'amitié et d'envie de contribuer à sa satisfaction, et il finira par les vœux usités pour la prospérité de son gouvernement.
6° Étant admis à l'audience de l'Impératrice, il lui présentera pareillement la lettre de créance ci-close, en l'accompagnant d'un compliment<79> de félicitation sur l'élévation du Prince son époux à la dignité impériale, et des protestations les plus persuasives de la vive satisfaction que je sentais de voir notre ancienne amitié rétablie; que la principale attention de mon règne et une de mes plus douces occupations était et serait constamment de cultiver des liens si précieux et d'en resserrer de plus en plus les nœuds, ne doutant point que l'Impératrice n'y répondît de son côté avec le même empressement, et persuadé que nos deux maisons trouveraient toujours leur compte dans une pareille union étroite, ainsi qu'elles avaient fait ci-devant, leurs véritables intérêts étant naturellement les mêmes. Dans l'une et l'autre audience, le comte de Podewils ajoutera un compliment relatif à sa personne, qu'il s'estimait heureux d'être honoré d'une pareille commission à la première cour de l'Europe; qu'il espérait de s'en acquitter à la satisfaction de Leurs Majestés Impériales, et qu'il ferait tous les efforts pour mériter l'honneur de leur bienveillance et de leurs bonnes grâces.
7° Il demandera ensuite audience auprès de l'Impératrice douairière, si tel est l'usage présent de la cour de Vienne; et, en remettant à cette Princesse la lettre de créance qu'il trouvera à la suite de cette instruction, il lui fera de ma part un compliment poli et obligeant pour l'assurer de ma considération distinguée et de mon attention à cultiver l'honneur de son amitié; qu'ayant celui d'être étroitement lié avec elle par des nœuds de parentage,79-1 je me flattais qu'elle ne discontinuerait point de travailler comme par le passé à l'affermissement de la bonne harmonie et de l'étroite union qui venait d'être heureusement rétablie entre l'Impératrice sa fille et moi; et qu'à mon tour, j'aurais toujours une attention extrême à lui donner fréquemment des marques réelles et convaincantes de ma haute considération pour elle et de ma sincère amitié.
8° A l'égard de l'archiduc Joseph, il s'informera de ce qu'étiquette porte. Si la coutume veut que les ministres étrangers aillent le voir et lui faire des compliments, il s'y conformera.
9° L'usage étant à Vienne que les ministres étrangers soient munis de lettres d'adresse pour ceux de la cour impériale, le comte de Podewils en recevra à la suite de la présente pour les comtes d'Ulfeld, de Colloredo, de Kinsky, de Harrach et de Wurmbrand. Il aura soin de les leur remettre et de les accompagner d'un compliment assortissant qu'il serait superflu de lui suggérer. Il ne fera nulle difficulté de leur rendre la première visite, si tel est l'usage, sur lequel il se règlera en tout ce qui regarde le cérémoniel. Il s'appliquera de toutes ses forces à s'insinuer dans l'esprit de tous les ministres de la cour de Vienne et à gagner leur confiance, mais surtout celle des comtes d'Ulfeld, de Harrach et de Kinsky, qui par leurs différents départements ont une influence directe dans les affaires qui m'intéressent, et il tâchera de les<80> faire revenir de la prévention qu'ils semblent avoir prise contre moi, pour leur inspirer une idée plus juste de ma façon de penser et d'agir et pour les persuader de la sincérité de mon désir et de ma ferme résolution de faire revivre l'ancienne harmonie entre la maison d'Autriche et la mienne, et de contribuer de mon côté tout ce qu'on peut raisonnablement désirer pour en fortifier les nœuds et pour les rendre indissolubles. Il en usera de même à l'égard du secrétaire d'État, le baron de Bartenstein, à qui je lui permets de dire de ma part tout ce qu'il juge à propos de flatteur et de propre à le rendre favorable à mes intérêts.
10° Pour ce qui est des ministres étrangers, le comte de Podewils se gouvernera à leur égard, quant à la première visite et à d'autres points du cérémoniel, de la manière qu'il le trouve établi entre des ministres d'un caractère égal au sien. Au reste, comme je suis maintenant en paix avec toutes les puissances de l'Europe, il pourra entretenir un commerce d'amitié et de politesse avec tous les ministres étrangers qui se trouvent à Vienne, en rendant à chacun ce qui lui est dû suivant son rang et celui de son maître, les pratiquer même familiairement et vivre avec eux d'un air de cordialité, sans donner pourtant sa confiance qu'à très bonnes enseignes. Il se gardera surtout de la prodiguer aux ministres de Russie et de Saxe, par les raisons qu'il verra dans les articles suivants. Bien au contraire, il veillera sans relâche avec une attention extrême à leurs menées et éclairera de près leurs démarches et les négociations dont ils pourraient être chargés, soit directement avec la cour de Vienne, soit avec d'autres ministres qui y résident. Il pourra agir avec plus de franchise, non toutefois sans une pointe de défiance, avec les ministres des Puissances maritimes. Il est même du droit du jeu qu'il en use de la sorte afin de persuader le public, aussi bien que les ministres mêmes, de mes bonnes dispositions pour les intérêts de leurs maîtres et de mon désir de m'unir avec eux, surtout avec le roi d'Angleterre, de la manière la plus étroite. Aussi n'épargnera-t-il rien pour captiver l'amitié et la confiance du sieur Robinson, dont le crédit pourra lui être d'une grande utilité pour la réussite de ses négociations.
11° Le principal point où le comte de Podewils doit présentement attacher son attention, c'est d'approfondir les véritables dispositions de la cour impériale à mon égard, particulièrement celles de l'Impératrice-Reine et de ses ministres; si l'on est sérieusement intentionné de se tenir à la dernière pacification, ou si l'on prend de loin des mesures pour une route opposée. Il est d'autant plus nécessaire d'examiner ce point avec un soin extraordinaire, que je suis averti de plus d'un endroit, et même avec des particularités qui portent un grand air de vraisemblance, qu'il y a effectivement un concert secret sur le tapis entre les cours de Vienne et de Pétersbourg pour me dépouiller de la Silésie, au moyen d'une irruption subite et imprévue du côté de la Bohême et de Moravie, tandis que la Russie agirait avec toutes ses forces contre la<81> Prusse; et que c'est en conséquence de ce projet que les ministres impériaux à Pétersbourg travaillent présentement au renouvellement de l'alliance de l'année 1726, étant assurés sous main qu'aussitôt qu'on y serait parvenu, on trouverait bien moyen d'engager l'Impératrice à changer la nature de cet engagement, qui n'est que défensif, et de le rendre offensif. Il s'agit donc de pénétrer avec certitude s'il y a de la réalité dans ces avis, ou si ce ne sont que de simples conjectures, et, au premier cas, quelles dispositions et quels arrangements la cour de Vienne fait présentement pour l'exécution d'un pareil dessein, combien de troupes elle entretient actuellement ou compte de tenir dans la suite dans ses pays héréditaires, en Bohême et en Moravie, et principalement en Hongrie du côté de Jablunka. Enfin, tout ce qui peut avoir rapport de près ou de loin à ce grand objet, doit être celui de l'attention du comte de Podewils, et il faut qu'il emploie toute sa dextérité et toute sa vigilance pour déterrer ce qui se peut machiner contre moi, de manière toutefois qu'il ne laisse entrevoir aucune défiance ni inquiétude à ce sujet, et qu'extérieurement il paraisse être pleinement assuré des bonnes intentions de la cour impériale à mon égard. Il faut encore qu'il examine scrupuleusement les avis qu'on lui donne et les apparences qui se présentent, pour démêler autant qu'il est possible le vrai d'avec le faux, les réalités d'avec de simples soupçons et conjectures. Il doit, à la vérité, me rapporter exactement tout ce qui lui en revient, mais il faut aussi qu'il m'en marque les sources et toutes les particularités qui peuvent servir à constater la probabilité ou le peu de vraisemblance de ces sortes d'avis.
12° Le second grand objet de son attention doit être de découvrir les véritables dispositions de la cour de Vienne par rapport à la paix future; quels sacrifices elle pourrait se résoudre de faire tant à la France aux Pays-Bas, qu'à l'Espagne pour l'établissement de l'infant Philippe en Italie; quel parti elle choisira vraisemblablement au cas que la France forçât les Hollandais à un accommodement séparé ou à la neutralité, et que la révolte continuât et se soutînt en Écosse; si en pareil cas la cour de Vienne, qui chipote déjà avec celle de Versailles, ne serait pas d'humeur de faire un pont d'or aux deux couronnes pour se débarrasser d'elles à quelque prix que ce fût, principalement dans la vue d'employer ensuite toutes ses forces contre moi et de me ravir, de concert avec la cour de Pétersbourg, mes conquêtes, aussitôt qu'elle aurait les bras libres.
13° Le comte de Podewils ne sera pas moins attentif à pénétrer les dispositions présentes de la cour impériale à l'égard des Saxons. Naturellement on devrait être mal satisfait à Vienne de la cour de Dresde, depuis que celle-ci a refusé aux Puissances maritimes le corps auxiliaire qu'elles y faisaient négocier, et que, de plus, elle s'est engagée, à ce que l'on prétend, par une convention secrète avec la France, moyennant un subside annuel de 1,500,000 livres, de ne point donner<82> de troupes contre cette couronne ni contre ses alliés pendant un certain nombre d'années. Cependant, il y a tant de duplicité dans les manœuvres des Saxons, et ils couvent en secret une haine si forte contre moi, que je ne saurais m'y fier en aucune façon, et il n'est pas impossible que, malgré cet engagement, qui semble devoir porter un coup mortel à leur intelligence avec la maison d'Autriche, ils trouvent moyen de se rapatrier avec elle; et il ne faut pas douter qu'ils ne s'y prêtent avec facilité, s'ils voient jour à m'attaquer. De sorte que le comte de Podewils ne peut apporter trop de vigilance pour épier les intrigues qui pourront se tramer à Vienne avec la cour de Dresde, de même qu'avec celle de Russie.
14° Pour ce qui regarde les affaires que j'ai encore à discuter pour mon particulier avec la cour de Vienne, le comte de Podewils aura soin, avant son départ, de se faire donner et d'étudier les instructions qui ont été envoyées au résident de Græve, et les rapports qu'il m'a faits sur ces matières, pour s'en former une idée générale. A son arrivée à Vienne, ledit résident l'informera plus amplement de la situation présente de ces affaires, en quels termes se trouve sa négociation, quels points ont été ajustés, et ce qui me reste encore à désirer. Comme le susdit résident est parfaitement au fait de ces matières, le comte de Podewils ira de concert avec lui dans les négociations relatives aux affaires de l'Empire et de Silésie, ainsi qu'à mes droits en Allemagne et à d'autres objets de pareille nature, et il dressera et signera conjointement avec le résident tous les rapports, excepté ceux qui regardent les négociations d'État, dont le comte de Podewils se réservera seul le secret.
15° Le plus important objet dans ce genre c'est la garantie de l'Empire à la paix de Dresde. Le résident de Græve ayant déjà reçu d'amples instructions sur cet article, je me contente d'y référer le comte de Podewils, lequel ne manquera point de travailler en conformité avec toute l'activité imaginable, pour engager la cour de Vienne d'envoyer sans délai à Ratisbonne un décret de commission pour recommander l'affaire à la Diète. Je compte d'ailleurs que sur sa réquisition le sieur de Robinson ne refusera pas de le seconder puissamment dans cette négociation, Sa Majesté Britannique m'ayant donné sa parole positive qu'elle emploierait tout son crédit pour me procurer la garantie en question.
16° Le comte de Podewils se donnera de même tous les mouvements imaginables pour que la convention avec l'Empereur dont il est parlé dans le traité de Dresde, touchant certains avantages et prérogatives qui m'ont été accordés par le feu empereur Charles VII, parvienne promptement à sa consistance. Comme le sieur de Grave est amplement instruit sur cette matière, il me paraît superflu de m'étendre davantage là-dessus.
17° La plupart des différends qui subsistent encore ou qui pourront naître dans la suite entre moi et la cour de Vienne, devant se décider<83> par nos dernières conventions, le comte de Podewils trouvera à la suite de la présente les articles préliminaires de Breslau et le traité définitif de Berlin de l'année 1742, aussi bien que le recez des limites de la même année et les deux traités de paix de Dresde; et pour lui donner une juste idée de mes droits sur l'Ostfrise j'y joins la dernière déduction que j'ai fait publier à ce sujet.
18° Comme je présume que le ministère de Vienne ne manquera point de faire des instances au comte de Podewils pour me presser d'entrer dans les vues qui font l'objet du décret de commission proposé à la Diète in materia securitatis publicae, j'ai trouvé bon de lui faire part du votum que j'ai ordonné au sieur de Pollman de délivrer à la Diète sur cette matière, de même que de l'instruction dont je l'ai accompagné pour ce ministre. Le comte de Podewils recevra l'un et l'autre à la suite de la présente pour sa propre information et afin qu'il sache de quelle façon s'expliquer sur ce chapitre conformément à mes intentions, mais, au reste, il ne les communiquera à personne.
19° La cour de Vienne n'ayant point cessé, malgré la réconciliation avec l'Électeur palatin, de fouler les États de ce Prince, où les troupes autrichiennes continuent de commettre une infinité d'extorsions, de violences et d'autres excès, mon intention est que le comte de Podewils appuie fortement les plaintes que le ministre palatin est chargé d'en porter à ladite cour, et qu'il insiste, avec modération à la vérité, toutefois en termes nerveux, pour que ces désordres soient promptement redressés et remédiés et que l'on laisse jouir Son Altesse Électorale de l'entier effet de ce qui a été stipulé en sa faveur par l'article 12 du traité de Dresde.
20° Les arrangements intérieurs de la cour de Vienne, l'état de ses forces, l'augmentation de ses troupes, leurs mouvements, ses finances, ses ressources, les moyens qu'elle met en usage pour subvenir aux dépenses énormes qu'elle est obligée de soutenir, son commerce, l'administration de ses États, les dispositions de l'Impératrice à l'égard de l'Empereur, la part qu'elle lui donne dans le gouvernement, les inclinations de ses ministres, les différents intrigues qui se forment entre eux, et, généralement, toutes les anecdotes qui peuvent intéresser et mériter mon attention et ma curiosité, n'échapperont pas à celle du comte de Podewils, qui m'en informera autant qu'il convient pour me donner une juste idée de l'état présent de ladite cour.
21° Il dressera en français les relations qui regardent les affaires d'État, les négociations secrètes et d'autres matières dont il m'importe d'avoir connaissance, et il me les enverra à chaque ordinaire en double, l'un adressé à mes propres mains et l'autre à mon département des affaires étrangères.
Quant aux autres matières qui regardent les affaires de l'Empire ou celles de Silésie, le commerce, les procès où je suis intéressé, les prétentions des particuliers et d'autres objets qui sont du ressort des<84> différents colléges, il en fera ses rapports en allemand et les signera conjointement avec le résident de Graeve.
22° Le comte de Podewils recevra ci-joint deux chiffres chiffrants et déchiffrants, l'un français, l'autre allemand, pour s'en servir dans tous les articles' de ses rapports qui demandent du secret. Il fera usage de l'allemand en commun avec le sieur de Grave, mais il se réservera à lui seul celui du français.
Federic.
H. Comte de Podewils. C. W. Borcke.
Nach dem Concept.
78-1 Graf Otto von Podewils, der frühere ausserordentliche Gesandte im Haag. Der General Graf zu Dohna hatte die Rückkehr auf den Gesandtschaftsposten in Wien „wegen seines schlechten Gesundheitsstandes und fast beständiger podagrischen Zufälle“ abgelehnt (Erlass aus dem Ministerium an den Residenten von Gräve in Wien, Berlin 3. Mai 1746).
78-2 Vergl. auch Nr. 2219.
78-3 Graf Wurmbrand und Graf Colloredo.
79-1 Die Kaiserin-Wittwe Elisabeth, geborne Prinzessin von Braunschweig, war die Tante der Königin von Preussen.