2488. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A DRESDE.

Berlin, 7 janvier 1747.

J'ai bien reçu votre relation du 5 de ce mois que le courrier du marquis de Valory a apportée. Je ne puis que m'affermir de plus en plus dans la mauvaise opinion que j'ai du comte de Brühl et de ses menées, et l'expérience que j'en ai faite et ce qui me revient de partout ne peut que m'empêcher de prendre aucune confiance en ses assurances. Son but n'est que d'éloigner tout ce qui pourrait former une liaison solide et durable entre moi et la Saxe, et on le verra toujours saisir jusqu'aux moindres circonstances qui pourront détourner son maître de cet objet. L'affaire des miliciens283-1 terminée, il y fera succéder celle de Fürstenberg,283-2 et, celle-ci encore ajustée, un traité de commerce sera pour lui un nouveau sujet d'anicroche, et ainsi de tout le reste, n'étant que trop démontré que, quand on veut chercher des sujets de plainte et d'humeur, des pierres d'achoppement enfin, on en trouve toujours dont ils est aisé de faire usage et de masquer les motifs.

Quand je réfléchis sur la conduite que j'ai tenue avec ces gens-là<284> après Ja paix de Dresde, je ne puis que me convaincre de leur avoir fait toutes les avances possibles. Lorsque le lieutenant-colonel de Vitzthum était ici, j'ai cédé à ses instances, en lui rendant beaucoup de gens. Sur combien d'autres points ne me suis-je pas encore relâché avec eux? J'ai tâché de favoriser de tout mon pouvoir et ouvertement leurs intérêts, à toutes les cours de l'Europe où mon appui pouvait leur devenir avantageux, et quoique je ne sois pas absolument l'auteur du mariage avec la Dauphine, j'y ai pourtant contribué de mon côté par tout ce qui a été en moi; je ne me suis mêlé ici ni en noir ni en blanc de leur Diète de Pologne, et je me suis prêté avec facilité dans toutes les occasions où j'ai pu leur faire plaisir. Tous ces procédés sont bien éloignés de ceux d'un voisin envieux et jaloux, et si je veux suivre la conduite que la Saxe a tenue après cette même paix de Dresde, je trouverai des choses bien différentes.

Ils n'ont pu cacher le chagrin qu'ils ont eu de n'avoir pas pu me dicter à Berlin une paix dure et humiliante; quand il a été question de me payer le million d'écus aux termes du traité, ils n'ont payé que 800,000 écus, et je me suis prêté de bonne grâce à tous les arrangements qu'ils ont voulu prendre et à tout ce qui a pu leur être agréable. Vous pouvez vous rappeler vous-même que vous m'assurâtes positivement alors que j'engagerais par cette complaisance le roi de Pologne et Brühl à me vouloir du bien : nous en avons vu les effets. Pour me témoigner leur reconnaissance, le comte de Loss, leur ministre à Paris, a insinué fort adroitement au marquis d'Argenson que je soufflais le froid et le chaud et que je faisais des insinuations d'un côté et de l'autre pour perpétuer la guerre. Ils ont voulu faire croire en Russie que, méditant une triple alliance avec la France et la Suède pour attaquer cette puissance, je faisais encore des démarches par des émissaires auprès de Chouli-Khan pour le porter à lui déclarer aussi la guerre; ils ont débité, de plus, à Vienne que c'était à force de menaces que je les avais obligés à s'unir avec la France; ils m'ont calomnié devant la nation polonaise, en me faisant passer pour un voisin dangereux, remuant, et dont l'ambition démesurée cherchait à engloutir tous ses voisins, et en ajoutant encore sur ma prochaine invasion en Pologne leurs bruits mensongers, que je ne veux point répéter ici.

Après toute cette conduite dont je viens de vous faire ici le résumé, je vous démande à vous-même si je puis avoir grande confiance en la bonne volonté de Brühl, et si j'ai lieu de penser de le pouvoir changer par de nouvelles complaisances.

Il n'est pas étonnant que le duc de Richelieu, qui ne connaît pas l'archifourberie et l'infâme duplicité des ministres saxons, s'en laisse abuser, mais, pour moi qui les connais, ce serait être écolier que de m'y laisser surprendre.

Il m'est venu dans l'esprit un expédient pour pénétrer les sentiments de Brühl jusqu'au fond; c'est que vous proposiez au duc de Richelieu,<285> comme l'unique expédient auquel je puisse me prêter, celui de rendre les miliciens de Saxe qu'ils réclament, moyennant qu'ils les échangeront avec le même nombre d'autres hommes de la même grandeur.

Quant à l'affaire de Fürstenberg, vous direz au duc de Richelieu que c'est un objet qui, dans le fond, n'intéresse que trois ou quatre marchands de Breslau, et dont, au reste, je ne retire aucun avantage, et que, si les Saxons n'aplanissent pas les difficultés et ne remédient pas aux griefs que j'ai contre eux, j'attendrai patiemment et m'en remettrai au temps et à leur mauvaise conduite.

Vous devez lui faire remarquer encore que l'union des Saxons ne m'est pas absolument nécessaire, et que, si jusqu'ici je leur ai fait des avances, cela a été pour leur plus grand bien et pour leur prouver combien j'étais réellement disposé à vivre en bonne amitié avec eux, et que, si Brühl s'imaginait tirer à la courte paille avec moi, il en sera la dupe, et il doit plutôt se ressouvenir que, s'il respire encore, ce n'est que parceque je n'ai pas voulu l'écraser. Ses intérêts personnels devraient le porter à acheter mon amitié de tout son pouvoir; il doit connaître le nombre et la puissance de ses ennemis en Saxe, et, dans un cas de révolution, il doit penser qu'il n'y a point de prince plus à portée, plus capable et de meilleure volonté que moi de lui prêter un asile.

C'est ce que vous devez prendre adroitement l'occasion de lui faire sentir comme une insinuation et une preuve de mes sentiments personnels pour lui.

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.



283-1 Vergl. Bd. IV, 385.

283-2 Vergl. S. 15.