2499. ARTICLES DICTÉS PAR LE ROI MÊME, POUR SERVIR DE PRINCIPAUX INGRÉDIENTS A L'INSTRUCTION DU COMTE DE FINCKENSTEIN, ALLANT DE LA PART DE SA MAJESTÉ A LA COUR DE RUSSIE.
[Berlin], 20 janvier 1747.
1° Comme le baron de Mardefeld, par ses grandes lumières et la connaissance acquise des affaires de la Russie pendant le long séjour qu'il y a fait,293-2 connaît mieux que personne cette cour-là, il en fournira<294> et dressera pour le comte de Finckenstein un tableau général tel qu'il l'a laissé à son départ, sur la disposition présente des esprits, le crédit et les caractères de ses ministres, du favori,294-1 des gens en place et employés dans les affaires, ou qui ont du crédit auprès de l'Impératrice, et des canaux dont il faut se servir, soit pour faire bien les affaires du Roi et réussir dans les négociations, soit pour apprendre ce qui se passe, et en général sur tout ce qui peut servir d'instruction et de direction à un ministre qui n'a jamais été employé à la cour de Pétersbourg.
2° Le chancelier comte de Bestushew paraissant plus affermi que jamais dans la supériorité de son crédit, le comte de Finckenstein doit employer tout ce qui est humainement possible pour le mettre dans les intérêts du Roi et lui inspirer des sentiments plus favorables pour Sa Majesté qu'il n'a eus jusqu'ici, et pour y parvenir, le baron de Mardefeld lui indiquera les moyens comment s'y prendre et comment le gagner, soit par lui-même, soit par sa famille, ses créatures ou ses partisans.
3° Le comte de Finckenstein, par les notions que le baron de Mardefeld lui donnera sur le caractère du chancelier comte de Bestushew, doit tâcher de se mettre de bonne heure en état de rompre les mauvais desseins que la Russie pourrait avoir formés contre Sa Majesté, en gagnant le premier ministre par l'offre de quelque grande somme, gratification ou pension capable de le tenter et de lui faire changer de sentiment ou renoncer aux mauvais desseins qu'il pourrait actuellement avoir formés pour en venir à une rupture avec le Roi — le tout pourtant pas autrement qu'en cas d'extrémité et si on a sérieusement pris le parti de vouloir dégainer avec le Roi, pour quel effet le baron de Mardefeld lui indiquera la façon comment s'y prendre, soit par la femme du comte de Bestushew, soit par d'autres canaux, d'une manière à pouvoir se flatter d'y réussir.
4° Il sera nécessaire aussi que le comte de Finckenstein tâche de ménager et de conserver la confiance et l'amitié du comte de Woronzow, toutefois avec les précautions nécessaires que cela ne lui fasse pas manquer celle du chancelier comte de Bestushew.
5° Un des principaux objets du comte de Finckenstein doit être de faire revenir la cour de Russie de la prévention où elle paraît être que le Roi négocie une alliance offensive en Suède contre la Russie, et c'est pour cela qu'il doit faire là-dessus non seulement les déclarations les plus positives et les plus fortes, au comte de Bestushew surtout et au comte de Woronzow, que jamais pareille idée n'est venue dans l'esprit du Roi; mais il doit communiquer aussi à ces ministres le dernier projet de cette alliance défensive entre le Roi et la Suède et assurer le ministère russien que le Roi ne demande pas mieux que de se concerter,<295> après la conclusion de cette alliance, avec la Suède pour inviter la Russie d'y accéder.
6° Le comte de Finckenstein doit être bien attentif à détruire toutes les mauvaises et fausses insinuations que les ennemis du Roi et surtout les cours de Vienne et de Dresde tâchent de faire à la Russie sur les desseins qu'on prête à Sa Majesté, soit par rapport à ces deux cours, comme si le Roi voulait rompre avec elles, soit pour ce qui concerne les affaires d'Orient, et comme si on y pratiquait des intelligences et qu'on tâchait de susciter des embarras à la Russie. Et comme le système du Roi a été toujours et restera de même invariable de cultiver au possible l'amitié de la cour de Russie et de ne faire aucune démarche qui puisse être regardée avec fondement et raison comme contraire à cette façon de penser de Sa Majesté, le comte de Finckenstein, sans attendre des ordres ultérieurs là-dessus qui demandent trop de temps, peut hardiment contredire de pareilles insinuations, sans craindre que le Roi ne le désavoue, puisqu'il peut bien croire que, si on devait changer ici de sentiment et de système à cet égard, il en serait averti à temps et même d'avance pour s'y conformer.
7° Les négociations des ministres des cours de Vienne et de Dresde, aussi bien que celles de celui d'Angleterre, mais surtout les deux premières, doivent être épiées et observées soigneusement par le comte de Finckenstein, à qui le baron de Mardefeld indiquera les canaux dont il pourra se servir pour les pénétrer.
8° Le comte de Finckenstein doit principalement être attentif aux arrangements militaires qu'on prendra en Russie pendant le séjour qu'il y fera, soit par rapport à la position et à la marche des troupes, soit pour leur augmentation, l'envoi de l'artillerie, l'établissement des magasins, la sortie des galères ou des vaisseaux de guerre, et généralement à tout ce qui peut y avoir du rapport, surtout dans la crise présente des affaires, et en informer le Roi à temps et en détail, pour que Sa Majesté puisse prendre les mesures nécessaires là-dessus, soit que cela la regarde directement, soit que ce puisse concerner la Suède ou la Pologne ou bien l'envoi d'un secours à la cour de Vienne. Comme le baron de Mardefeld en a toujours fidèlement et exactement informé le Roi, Sa Majesté se flatte qu'il pourra donner au comte de Finckenstein des lumières sur les canaux et les gens dont il doit se servir pour se mettre au fait de ces sortes d'informations, si nécessaires dans la situation critique d'à présent.
Nach der Aufzeichnung des Grafen Podewils.
293-2 1727—1746.
294-1 Graf Rasumowski.