2637. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 12 mai 1747.

J'ai reçu la dépêche que vous m'avez faite en date du 1er de ce mois. Je suis bien satisfait de la manière dont vous vous êtes acquitté des ordres que je vous ai faits au sujet du traité d'amitié et de garantie que j'avais fait proposer à la Saxe, quoique sans succès. Je souhaite pour les intérêts de la France même que le marquis de Puyzieulx persiste toujours dans les sentiments qu'il vous a déclarés làdessus; il ne saurait être trop en garde contre les artifices et les manigances de la cour de Dresde, et vous ne devez négliger aucune occasion qui se présentera, pour l'en faire ressouvenir et pour lui développer de<389> plus en plus le mauvais caractère du premier ministre de Saxe et les mauvaises intentions qu'il a tant à mon égard qu'à l'égard de la France. Le marquis des Issarts à Dresde en pourra rendre compte à sa cour; il a déclaré depuis peu au comte de Brühl, en conformité des ordres de sa cour, que, puisque les cours de Pétersbourg et de Vienne venaient d'inviter la Saxe d'accéder au traité d'alliance conclu entre les deux cours, la France ne saurait jamais voir de bon œil que cette accession se fit, parceque tout ce qui pourrait avoir rapport à la cour de Vienne sur pareille matière, lui serait toujours suspect, et contraire aux engagements qui subsistaient entre les deux cours, et qu'on espérait qu'en vertu de ces engagements secrets ou ne s'engagerait pas à la légère — à quoi il a ajouté qu'à l'égard du contingent des subsides d'Espagne, la France s'emploierait pour le faire avoir à la Saxe. Sur quoi le comte de Brühl n'a témoigné que de la reconnaissance du Roi son maître sur ce dernier article, le payant au reste de paroles vagues. Et comme le marquis des Issarts n'a pu s'empêcher de faire sentir sa surprise à ce ministre de ce qu'il ne lui disait rien sur l'article de l'accession, et qu'il ne parlait que de celui des subsides, l'assurant pourtant que cela méritait toute son attention — malgré tout cela, le comte de Brühl s'est toujours renfermé en termes généraux sut les bons sentiments de son maître de remplir ses engagements. Voilà un échantillon de la façon d'agir dudit premier ministre par lequel le marquis de Puyzieulx pourra juger ce qu'on peut faire avec un homme aussi double et traître. Cependant il faut que je vous dise encore que, dans le même temps que le marquis des Issarts a eu cet entretien avec le comte de Brühl, j'ai eu des avis de très bon lieu que, dès que le ministre autrichien à Dresde, le comte Esterhazy, avec le ministre russien Bestushew, ont fait l'invitation à la cour de Saxe, pour accéder au traité fait entre les cours de Vienne et de Pétersbourg, leur proposition a été acceptée de la manière la plus satisfaisante, et que le ministre russien a actuellement dépêché un courrier à sa cour, pour y porter le projet d'accession de la cour de Saxe au traité mentionné. Je sais d'ailleurs que les cours de Vienne et de Pétersbourg se flattent que, l'accession de la Saxe faite audit traité, on en aurait le double avantage, savoir de séparer la Saxe de la France et de me tenir d'autant plus en échec, pour n'oser rien faire en faveur de celle-ci. Pour finir, il faut que je vous instruise encore des propos que les ministres saxons aux cours de Vienne et de Pétersbourg tiennent pour colorer l'intelligence de leur cour avec la France, qui, selon leur dire, ne s'entretient que dans le but de me brouiller avec la France et de m'ôter celle-ci tout-à-fait.

Le marquis de Puyzieulx reconnaîtra par là si c'est de ma faute si les affaires entre la Saxe et moi se brouillent de plus en plus, et si la France pourra jamais compter sur la cour de Dresde.

Federic.

Nach dem Concept.

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