<120> qu'au moyen d'un grand nombre de bateaux sur la Meuse, vous seriez en toute liberté d'entreprendre telle opération que vous jugeriez la plus convenable aux intérêts de la France; j'ai cru remarquer que le ministère de Versailles jugeait ne pouvoir vaincre l'obstination de ses ennemis à ne point vouloir la paix, qu'en réduisant la république de Hollande au point de la désirer. La combinaison de toutes ces différentes suppositions m'a fait présumer que vous marcheriez sur Venlo, après la prise de Mastricht, d'autant plus que M. de Cumberland avait déjà préludé sur son départ pour Breda; la commodité de la Meuse vous donnait toutes les facilités pour l'administration des vivres, et la faiblesse des alliés devait ou les réduire à la défensive ou leur causer des regrets de la témérité de leur entreprise. Venlo pris, il me semblait que votre supériorité vous permettrait de détacher un corps de 18 à 20,000 hommes vers Berg-op-Zoom, ce qui aurait donné de la jalousie aux Hollandais pour la Zélande, où ils auraient vraisemblablement détaché un corps considérable; ou peut-être même que toute leur armée aurait été attirée vers le Vieux-Bois, pour couvrir la Hollande de ce côté-là, ce qui vous aurait donné toute la facilité pour assiéger Grave, soit qu'une partie de l'armée des alliés essayât de le défendre, en se jetant de l'autre côté de ce bras de la Meuse qui y passe; et, en cas que votre détachement de Berg-op-Zoom n'eût point fait d'impression sur les alliés et qu'ils se fussent tous déterminés à la défense de Grave, vous les auriez toujours attirés de l'autre côté par quelques invasions que le corps de Berg-op-Zoom aurait fait en Hollande, et vous auriez eu le temps d'établir le théâtre de la guerre entre le Waal et la Meuse, avant que le secours des Russes eût eu le temps d'arriver.
Selon le calcul que nous avions fait de la marche de ces troupes, elles n'auraient pu arriver à Rœrmonde que dans les premiers jours du mois d'août, et cette position que vous aviez prise entre la Meuse et le Waal, les obligeant à faire un détour considérable pour gagner l'armée du duc de Cumberland, aurait à coup sûr retardé leur jonction jusqu'au mois de septembre; de plus, le secours de ces Moscovites, réduit à l'intrinsèque, aurait été beaucoup moins formidable que l'on ne s'efforçait de le débiter, à cause qu'une armée de 30,000 hommes qui marche sans s'arrêter cinq cents milles d'Allemagne tout de suite, doit nécessairement perdre un tiers des soldats qui la composent, avant que d'arriver au lieu de sa destination.
Tels étaient les desseins que je vous supposais et pour lesquels les alliés même ont appréhendé, mais tous les projets que l'on forme à deux cents lieues du théâtre de la guerre, doivent être nécessairement vicieux, à cause que l'on n'est point affecté par la connaissance locale du pays, qui doit être le guide et la boussole de tous ceux qui ont à commander des armées de terre; il se peut, de plus, que l'on se trompe sur l'évaluation des troupes, une seule fausse supposition étant suffisante pour rendre mauvais tout un projet.