3229. A LA PRINCESSE ROYALE DE SUÈDE A DROTTNINGHOLM.

[Potsdam, 28 août 1748].

Rohd vous aura déjà appris ce qui m'est revenu par mes lettres de Vienne,218-1 touchant les appréhensions que le comte Barck a témoignées sur les troupes que la cour de Russie envoie sur les frontières de la Finlande, et de ce qu'il se pourrait avoir quelque réalité dans ces démonstrations, vu la haine que le chancelier Bestushew portait au Prince Royal, que le roi d'Angleterre pourrait bien y donner les mains, et la cour de Vienne se charger alors de me tenir en échec, pour m'empêcher de soutenir la Suède.

Dans ces circonstances critiques, je crois que la prudence demande que nous ramenions les voiles et que nous attendions un vent favorable pour les déployer toutes. De plus, il y a encore une chose à observer, c'est ce que la Russie peut agir contre la Suède et contre moi avec tous ses alliés, au lieu que nous n'avons pas le même avantage contre elle. Les deux puissances dont nous pourrons attendre le plus grand secours, ce sont la France et la Porte. Si notre partie était aussi bien liée que l'autre, alors nous pourrions opposer des forces aussi considérables pour notre défense que les autres en assembleraient pour nous attaquer. Mais si j'approfondis les intentions de la France, et que je juge par sa façon de penser de tout ce qu'on pourrait s'attendre d'elle après la mort du roi de Suède, j'augure mal des secours d'une puissance qui sacrifie ses propres intérêts et sa réputation à un désir immodéré et à l'impatience d'avoir la paix.

D'ailleurs, quel secours la France pourrait-elle fournir? Des troupes de terre? Elle ne commencera pas une nouvelle guerre pour les avantages des autres, n'ayant pu finir celle-ci d'une façon qui lui fût utile. Des vaisseaux? Comment une escadre française pourrait-elle traverser la Manche, dès que l'Angleterre et la Hollande ne voudraient pas lui en donner le passage? De l'argent? La France n'est pas aussi généreuse qu'on se l'imagine, ses secours sont médiocres, et elle attendrait peut-être que la Suède se trouvât à l'agonie, pour lui faire tenir dans ce temps-là des sommes qui ne lui seraient plus d'aucun fruit.

Si j'examine d'un autre côté les avantages qu'on pourrait tirer de la Porte, je n'en trouve aucun. La situation de son pays ne la met guère<219> à portée de faire une diversion aux Russes. Elle pourrait attaquer avec succès la maison d'Autriche, mais est-il à croire que les Turcs, qui auraient eu si beau jeu d'attaquer cette maison depuis l'année 40 jusqu'à présent, où elle était accablée d'ennemis, voudront commencer la guerre pendant que toute l'Europe est en paix et que la reine de Hongrie pourrait se servir de toutes ses forces pour se défendre?

Je conclus de tous ces différents raisonnements qu'il faut que nous mettions dans toutes nos démarches plus de prudence que de vivacité, et qu'en temporisant pour un temps nous attendions tout des bénéfices des conjonctures.

Je ne crois point que les desseins des ennemis de la Suède tendent à troubler l'ordre de la succession qui y est établi, mais je crois qu'ils s'opposeraient très fortement à quelque changement que ce pût être dans la forme du gouvernement; aussi toutes les déclarations que je ferais hors de saison et mal à propos au Danemark,219-1 ne pourraient qu'augmenter les mesures qu'ils voudraient prendre. Dans cette occasionlà, je serais plutôt du sentiment qu'il faut temporiser jusqu'au moment où l'on voit qu'ils veulent mettre leurs mauvais desseins en exécution; et pour l'article de l'argent, je voudrais avoir les reins assez forts pour suffire à tout; mais des circonstances aussi critiques que celles-ci font assez prévoir combien chaque puissance peut avoir besoin elle-même d'argent pour soutenir le fardeau de la guerre.

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei. Das Datum ergiebt ein Schreiben Eichel's an den Grafen Podewils in Berlin vom 28. August.



218-1 Vergl. Nr. 3224.

219-1 Vergl. S. 167 Anm. 1.