3565. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 25 mars 1749.

Je ne veux point entrer ici dans des réflexions sur la façon dont le marquis de Puyzieulx s'est expliqué à vous, quand vous lui avez<456> parlé aux sujets dont vous m'avez rendu compte par vos deux dépêches du ro et du 14 de ce mois; je vous dirai plutôt que je viens de faire des découvertes des plus authentiques sur les projets que les deux cours impériales pensent à exécuter et au sujet desquels elles ont été jusqu'ici en négociation avec l'Angleterre; savoir que leur concert est pris d'agir offensivement, et cela en conséquence du traité de 1746 qu'ils ont fait entre eux et qui en soi n'est que défensif, mais auquel ils ont ajouté alors des articles séparés et secrets dont il y en a un selon lequel l'impératrice de Russie, mécontente du Prince-Successeur en Suède, ne voudra pas permettre qu'au cas de la mort du roi de Suède il monte au trône, mais qu'elle voudra substituer à sa place le prince Frédéric de Hesse-Cassel, beau-fils du roi d'Angleterre, et que, ce plan exécuté par l'assistance de l'Impératrice-Reine, la Russie, par un mouvement de reconnaissance, voudra aider à reprendre la Silésie sur moi.

Comme ils se sont aperçus que, pour être sûrs de la réussite de leur projet, il leur fallait l'accession des deux Puissances maritimes et principalement celle de l'Angleterre, ils en ont fait l'invitation formelle, par un mémoire que le chancelier Bestushew et le ministre autrichien Bernes à Moscou ont présenté à milord Hyndford vers la fin du décembre de l'année passée. Selon cette invitation, l'Angleterre doit non seulement accéder au traité, mais encore à tous les articles séparés et secrets, et prolonger d'ailleurs la convention qui a été faite entre les Puissances maritimes et la Russie par rapport au corps de troupes auxiliaires qu'on fit marcher en Allemagne. En attendant la réponse de l'Angleterre, que milord Hyndford n'a pas eue encore, la cour de Russie en a fait parler son ministre à Londres, le comte Tschernyschew, au duc de Newcastle, qui a pris la proposition ad referendum, mais qui en même temps a ajouté que, le roi d'Angleterre étant présentement dans une fort étroite intelligence avec la république de Hollande, l'Angleterre ne saurait prolonger ladite convention ni prendre de nouveaux engagements sans s'en être concertée préalablement avec la Hollande ou avec le Prince-Stathouder. A quoi Tschernyschew a répliqué que, pourvu que l'Angleterre eût accédé, il y avait assez de temps pour inviter encore les États-Généraux à accéder de leur part.

J'ai appris encore que le chancelier Bestushew presse extrêmement la cour de Vienne afin que celle-ci envoie incessamment une personne de distinction à la cour de Copenhague, et que, dans un discours que ce Chancelier a tenu il y a peu de temps au ministre autrichien Bernes, il a donné à entendre que l'impératrice de Russie, n'étant nullement contente du Prince-Successeur en Suède, était toujours intentionnée de placer le prince Frédéric de Hesse au trône de Suède.

Au surplus, vous pouvez être assuré que tout ce que je viens de vous dire, sont des faits incontestables et dont j'ai eu des preuves authentiques en main; j'en conclus que la paix ou la guerre dépend absolument à présent de la résolution que l'Angleterre prendra, car, si<457> elle accède au traité dans tout son étendue et qu'elle se prête à prolonger la convention susdite, voilà la guerre inévitable; au lieu que, si elle décline l'accession ou qu'elle n'accède que simplement au traité défensif, la paix pourra se conserver encore. Je laisse à votre prudence si vous trouverez convenable de parler de tout ceci au marquis de Puyzieulx, en quel cas vous le prierez cependant de m'en vouloir garder le secret, afin que je ne perde pas le canal d'où tout cela m'est entré.

Federic.

P. S.

Pour vous répondre encore à tout ce que le marquis de Puyzieulx vous a répondu aux différents sujets contenus dans vos dépêches cidessus accusées, je vous dirai que je trouve de l'impossibilité de me concerter avec la Suède sur un plan de défensive de la manière que M. de Puyzieulx le désire;457-1 qu'il faut considérer que je n'ai point de vaisseaux pour transporter des troupes en Suède, et que celle-ci n'est pas à même de le faire, puisqu'avant même que la guerre commence, la Mer Baltique sera remplie des flottes anglaises et russes et peut-être encore des danoises, qui empêcheront de sortir les vaisseaux suédois; qu'il faut regarder, de plus, que, dès que l'on entamera la Suède, on m'attaquera presqu'en même temps de deux côtés, ainsi que tout ce que j'ai de troupes, suffisera à peine pour me défendre.

Vous ajouterez encore que mon intention n'est nullement de faire aller la France dans tout ceci plus loin qu'elle ne voudra, ni de la rembarquer dans une nouvelle guerre; que je ne fais que de l'avertir de tout ce qui vient à ma connaissance par rapport aux desseins des deux cours impériales contre la Suède et moi, et que je laisse à la France d'en faire ce qu'elle jugera convenable. Qu'il m'était impossible d'entreprendre des choses qui surpassaient mes forces, et que je suis aussi peu en état que la France de commencer la guerre, après qu'à peine j'en suis sorti, et qu'il ne me restait donc aucun autre parti à prendre que d'imiter la France et de ne me point mêler de ces affaires, aussi longtemps qu'il me le sera possible. Si malgré cela l'on m'attaque, je me défendrai de mon mieux. Si je suis alors en état de me soutenir conjointement avec la Suède, j'en serai bien aise; sinon, il faudra que nous cédions aux conjonctures et que nous prenions notre parti selon les occurrences. Voilà tout ce que vous aurez à dire; en attendant, j'espère encore que, pourvu que l'Angleterre n'accède pas pleinement au traité en question, alors tous les vastes desseins des deux cours impériales s'en iront en fumée.

Nach dem Concept.

<458>

457-1 Vergl. S. 455.