3848. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.
Potsdam, 1er septembre 1749.
Je viens de recevoir votre dépêche à la date du 22 d'août passé. Autant que j'ai lieu d'être content des sentiments du marquis de Puyzieulx et de sa façon de penser bonne et solide, autant en ai-je d'être mécontent du ministre de France à Vienne, le sieur Blondel, qui se gouverne là si pitoyablement que cela surpasse l'imagination; car non seulement donne-t-il dans toutes les piéges que la cour de Vienne lui tend, mais se conduit encore plutôt en ministre de Russie que de France. Je vous en épargne le détail, puisque ma volonté est que vous deviez bien vous garder d'en parler au marquis de Puyzieulx ni à qui que ce puisse être.
Au lieu de cela, vous direz à ce ministre qu'il me paraissait que le feu des Russiens commençait à se ralentir et qu'il venait d'ailleurs d'arriver en Russie un incident qui pourrait bien tirer à conséquence et dont je voudrais bien faire part à M. de Puyzieulx, toutefois en le suppliant de vouloir bien m'en garder le secret, pour ne pas me faire perdre le bon canal dont j'avais eu ces particularités. Il s'agit d'une forte brouillerie qui vient de s'élever entre le grand-chancelier Bestushew et le comte Schuwalow, sénateur de Russie et mari de la première favorite de l'Impératrice. Le chancelier Bestushew ayant pris le dessein de vouloir opprimer et perdre un des plus riches particuliers étrangers de ce pays-là, nommé Müller, à l'occasion d'un excès où les gens de celui-ci s'étaient portés contre un des valets de chambre de Bestushew, le sieur Müller, voyant l'orage qui le menaçait, a cru ne pas devoir tarder a implorer l'assistance de plusieurs personnes de la cour de Russie, et surtout à se mettre sous la protection du comte Schuwalow, lequel, unté déjà contre le Chancelier par l'affront qu'il croyait lui avoir été fait par l'arrêt d'un de ses domestiques, impliqué dans l'affaire du valet de chambre, a pris chaudement le parti du nommé Müller — qui apparemment ne lui aura pas caché la demande exorbitante et injuste<78> que le Chancelier lui avait fait faire de lui payer à l'instant 30,000 roubles pour faire cesser ses poursuites. Ce Schuwalow ne s'est pas borné à porter à l'Impératrice des plaintes amères contre le Chancelier, il est allé plus loin et a présenté par écrit à la souveraine plusieurs chefs d'accusations très graves contre celui-ci, dont l'Impératrice a marqué son ressentiment au Chancelier dans des termes bien forts, de façon que, si cet incident n'entraîne pas la ruine de celui-ci, elle lui pourra faire perdre au moins pour longtemps la confiance que la souveraine lui a marquée jusque là.
Au surplus, si cet incident baisse le crédit du Chancelier à sa cour, mon espérance augmente de plus en plus que tout pourra se passer encore tranquillement au Nord, surtout quand j'y combine l'impression que le renouvellement de l'alliance entre la Suède et le Danemark, la déclaration de la Porte Ottomane faite au ministre de Russie à Constantinople, et, après tout, le manque d'argent en Russie doit naturellement faire sur cette cour-ci.
Federic.
Nach dem Concept.