4244. AU MARQUIS DE VALORY, ENVOYÉ DE FRANCE, A BERLIN.

Potsdam, 13 avril 1750.

Monsieur le Marquis de Valory. La proposition que vous me faites par votre lettre du 11 de ce mois, est la même que vous m'avez faite déjà deux ou trois fois. Vous savez que je vous ai répondu alors que de notre côté nous serions exacts à remplir tous les engagements que nous avons avec la Suède; mais comme nous sommes d'ailleurs très sûrs d'être attaqués par la Russie, aussitôt que nous donnerons nos auxiliaires à la Suède, le projet de notre concert ne se réduira qu'à défendre chacun de son côté ses provinces et ses États.

Si l'on pouvait arranger les choses selon son bon plaisir, le préalable de la guerre qu'on aurait à soutenir contre la Russie, serait d'avoir une flotte supérieure à celle de cette puissance, par le moyen de laquelle la Suède pût aussi se procurer une supériorité sur ses ennemis. Vous savez d'ailleurs toutes les raisons que je vous ai déduites, qui me mettent hors d'état de rien entreprendre contre cette puissance, tant que nous ne pouvons avoir une supériorité sur mer. Il n'est pas inutile de vous faire faire encore une réflexion par rapport à la position<335> où je me trouve actuellement à l'égard de la Russie et de ses alliés. La Suède ne sera attaquée vraisemblablement que par la Russie, supposé que le chancelier Bestushew pousse les choses jusqu'à l'extrémité. Les Russes n'ont que 20 à 24,000 hommes sur les frontières de la Finlande; mais ces mêmes Russes ont une armée de 40,000 hommes dans la Livonie, et l'Impératrice-Reine peut assembler sans peine 50 à 60,000 sur les frontières de la Silésie. Je sais d'ailleurs à quoi je puis m'attendre de la Saxe en pareille conjoncture, et quoique cet État soit dans un délabrement prodigieux, ils ne laisseront pas de pouvoir mettre un corps formidable de troupes sur le pied, moyennant des subsides, de sorte que je suis menacé des plus grands dangers dans cette guerre, et que tout ce que je puis faire de mes forces, sera de me défendre contre tant d'ennemis puissants.

Si j'avais à dresser un projet de concert, je regarderais comme le point le plus important d'être bien assuré des bonnes intentions de la Porte et de la diversion qu'en cas de guerre elle voulût faire à la Russie. Et quant au roi de France, on ne saurait lui prescrire jusqu'à quel point il voudrait prendre part aux affaires du Nord; mais si je désirais là-dessus quelque chose en mon particulier, ce serait qu'il s'emparât de la Flandre, opération d'autant plus facile que les places rasées dans la dernière guerre ne sont pas encore rebâties. Je crois que cela obligerait l'Impératrice-Reine d'envoyer des troupes pour la défense de ses États, d'autant plus que les Puissances maritimes exigeraient ces efforts d'elle à tout prix. En supposant que les choses tournassent au plus mal pour la Suède, la France aurait un moyen assuré en mains pour rétablir les choses sur le point où elles devraient être, et quant aux Autrichiens, cette Flandre dont les Anglais sont si jaloux, est un moyen de quoi les obliger de rétablir les choses en Suède. Et supposant que la guerre prît une tournure plus heureuse, il me paraît que la France serait en droit de retenir cette province, qui, démembrée des États de la Reine-Impératrice, romprait à jamais la connexion et l'intérêt que les Puissances maritimes s'imaginent d'avoir pour la soutenir.

Je vous dis mes sentiments avec toute la franchise possible sur cette matière; mais si vous voulez examiner l'état des choses avec impartialité, vous et votre successeur conviendrez que je ne saurais m'engager qu'à faire des choses possibles, et que, bien loin de contribuer à l'avantage de mes alliés, en leur promettant plus que je ne saurais faire, je les tromperais effectivement par des espérances vaines dont je ne pourrais pas réaliser l'exécution.

Cependant, autant que je puis juger des affaires du Nord jusqu'à présent, je ne crois pas que nous ayons rien à craindre de la part de la Russie avant la Diète prochaine de Suède ou avant la mort du Roi.

Au reste, j'ai cru devoir vous communiquer confidemment ce que je viens d'apprendre par une voie secrète, touchant des lettres arrivées<336> de Turquie à Vienne qui doivent avoir marqué que l'élévation de Saïd-Effendi à la dignité de Kihaja336-1 n'avait guère été de durée, parcequ'il venait d'être démis de sa charge et exilé de Constantinople. L'on en a voulu tirer la conséquence que la Porte se confirmait de plus en plus dans les sentiments pacifiques qu'elle avait adoptés, et qu'elle ne voudrait pas souffrir dans le ministère des gens qui pensaient différemment. Sur quoi, je prie Dieu etc.

Federic.

P. S.

J'ai donné aujourd'hui à M. de Wulfwenstjerna un grand mémoire en réponse à celui qu'il m'a présenté; comme je ne doute point qu'il ne vous le communique, je vous y renvoie.

Nach der von Valory eingesandten Abschrift im Archiv des Auswärtigen Ministeriums zu Paris.



336-1 Vergl. S. 245.