5072. INSTRUCTION POUR M[ILORD] M[ARÉCHAL].438-1

Il cultivera avec tous les soins imaginables la bonne intelligence qui règne entre les deux cours, il témoignera dans toutes les occasions que nous avons un désir sincère de maintenir le système pacifique d'à présent, et fera même sentir qu'il est pour notre avantage, en ce qu'il favorise les établissements intérieurs qui se font pour l'avantage du pays.

<439>

Si les ministres semblent en défiance de ma bonne foi et lui allèguent la paix que nous fîmes l'année 42 et celle de 46, il peut répondre que cette première paix n'aurait point été précipitée, si nous n'avions pas eu l'exemple de la paix de 1735 quefit le cardinal de Fleury, sans consulter les rois d'Espagne, de Sardaigne, ni le pauvre Stanislas, et que de plus on savait qu'un émissaire du Cardinal se trouvait à Vienne,439-1 qui ne pouvait y négocier qu'à mon plus grand désavantage; et, quant à la paix de 46, qu'elle est conforme au traité fait avec la France, où il était marqué qu'au cas que la Russie commençât à remuer,439-2 j'avertissais la France que je penserais à ma sûreté, ainsi qu'il n'y a rien dans toute ma conduite contre la bonne foi.

Quant aux négociations, elles roulent à présent sur trois points principaux: 1° la tranquillité du Nord, 2° l'élection d'un roi des Romains, 3° une alliance entre le Danemark et la Prusse.

Quant à la première, il paraît que la Suède a tiré son épingle du jeu, et que toutes les ostentations de la Russie ne se tourneront directement que contre moi. Je trouve de mes intérêts de dissimuler dans cette occasion et de ne pas même faire d'attention à toutes leurs fanfaronnades militaires. Nous ne demanderons l'assistance de personne que lorsque les Russes feront une levée de bouchers réelle. S'il me revient quelques nouveaux complots des cours alliées, je le communiquerai à la France et à Milord pour sa direction.

2° L'élection d'un roi des Romains repose à présent, l'Angleterre tâche de se procurer la majorité des voix dans le Collège Électoral, et je crois que la France et nous savons à quoi nous en tenir; à moins qu'il ne survienne quelque évènement inattendu, je n'en écrirai point en France. Cependant vous pouvez dans des conférences demander au sieur de Puyzieulx si le ministère anglais ne s'explique point avec Mirepoix sur ce sujet et si la cour de Vienne ne sonne mot d'une affaire qui lui tient si fort à cœur.

3° Ce sont les Français qui négocient à Copenhague l'alliance de la Prusse et du Danemark; cette affaire demande quelques éclaircissements pour votre instruction. Le Danemark a quelque éloignement pour entrer en alliance avec la Prusse, parcequ'il pouvait être plutôt dans le cas de fournir des troupes que d'en recevoir. Sur ces entrefaites est survenue l'affaire de Madame de Bentinck et du séquestre dont la cour impériale a chargé le Danemark à mon préjudice, ce qui m'a obligé d'envoyer des troupes à Knyphausen.439-3 La cour de Danemark en a paru fort fâchée; à présent, par l'intermission de la France, on tâche d'ajuster cette affaire, pour rapprocher les esprits. Sur une lettre que le roi de France m'a écrite, je me suis entièrement expliqué439-4 que je suivrais ses avis, qui tendent à l'accommode<440> ment de Madame de Bentinck projeté et prêt d'être achevé. La France croit qu'à la suite de cet accommodement il n'y aura rien de plus aisé que de faire consentir le Danemark à cette alliance, mais je ne m'en flatte pas, à cause que Messieurs de Bernstorff et de Berckentin sont plus portés pour l'Angleterre et l'Autriche que pour la France et la Prusse. Cependant je ne puis qu'applaudir aux bonnes intentions des Français et faciliter la chose de mon côté autant qu'il dépend de moi.

Quant aux ministres étrangers, Milord gardera les bienséances et l'extérieur d'amitié avec tous ensemble. Cependant il ne sera confident qu'avec celui de Suède, qui est de toutes les cours là celle avec qui nous sommes le plus unis. B peut apprendre des nouvelles par M. Scheffer; c'est un homme à projets, et il faut l'arrêter dans ses imaginations plutôt que de l'y fortifier.

Milord m'enverra ses relations deux fois par semaine, il gardera son chiffre soigneusement sous sa clef; Knyphausen440-1 peut chiffrer les relations ordinaires, mais si M. de Puyzieulx lui fait quelques ouvertures, il chiffrera ces passages lui-même. S'il arrive quelque changement dans le ministère, il tâchera d'en approfondir la raison et il fera le caractère du nouveau ministre, y ajoutant un raisonnement sur le changement que le nouveau ministre pourra produire dans les affaires et principalement dans celles qui me regardent. Il sera attentif pour être instruit des insinuations malicieuses que les Autrichiens, Anglais et Saxons font contre moi; il n'en témoignera aucune méfiance aux Français, mais sans faire semblant de rien et par manière de conversation il tâchera d'en montrer la fausseté et la malignité que renferment ces propos. Il fera ce qui dépendra de lui pour s'attirer la confiance des ministres; il ne se rebutera point par les manières brusques du sieur Saint-Séverin ni de l'humeur de M. Puyzieulx; il tâchera de flatter en toutes les occasions l'amour-propre de ces ministres et de la nation et il tâchera de leur insinuer et persuader dans toutes les occasions de la déférence que j'avais pour les avis et conseils du roi de France, et que son amitié était sans prix pour moi, et il leur fera cependant remarquer que les intérêts de la France et de la Prusse sont les mêmes. B trouvera le maréchal de Belle-Isle très bien intentionné pour nous, M. Puyzieulx et Saint-Séverin de même, la maîtresse encore, les Paris de même, le duc de Noailles faiblement, le d'Argenson pas trop bien. Il trouvera en France les partisans de la Saxe, dont il faut qu'il se défie; il connaîtra mieux la disposition des autres, quand il aura fait quelque séjour à Paris; au reste, je m'en remets à son habileté et à sa sagesse qui ne manqueront pas de le faire réussir dans une cour où on estime les honnêtes gens.

F r.

Eigenhändig.

<441>

438-1 Undatirt. Lord Marschall verliess Berlin am 24. August und traf am 7. Sepember in Paris ein.

439-1 Vergl. Bd. II, 161.

439-2 Die Bestimmungen des Vertrags vom 5. Juni 1744 in Bezug auf Russland ergiebt Bd. III, 131 Anm. Vergl. Bd. III, 210; VII, 60.

439-3 Vergl. S. 67—71.

439-4 Nr. 4973 S. 380.

440-1 Knyphausen begleitete den Gesandten als Legationsrath.