5318. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.

Potsdam, 8 février 1752.

J'ai bien reçu votre dépêche du 28 du janvier passé. C'est avec une satisfaction particulière que j'en ai appris que le ministère de France s'est à la fin prêté à écrire à Constantinople afin de mettre la Porte sur ses gardes touchant les vues de la cour de Vienne sur le trône de Pologne et de la pressentir sur ce qu'on machinait à cet égard.

Selon mes avis de Londres,32-3 le sieur de Wall doit avoir eu des lettres par un courrier de Madrid en conséquence desquelles l'on ne<33> désespère pas encore de la signature du traité avec la cour de Vienne, mais que malgré tout cela les personnes les plus sensées et impartiales en Angleterre avaient toujours mauvaise opinion du succès de l'affaire et restaient persuadées que cette négociation s'en irait en fumée : ce qui me persuade que, pourvu que la France voulût remuer tant soit peu sur cette négociation, elle la ferait échouer encore et la traverserait. Mais si malheureusement elle reste tranquille et laisse faire tout comme les [autres] voudront, il ne saura pas manquer que ceux-ci prennent toute l'ascendance sur elle et réussissent dans toutes leurs vues.

Au reste, le comte Lynar, ministre du Danemark, qui vient de quitter la cour de Pétersbourg, a passé Berlin depuis peu de jours, où l'on a tiré de lui quelques éclaircissements sur la situation présente de la Russie.

Selon ce qu'il a prétendu, l'Impératrice doit être plus paresseuse et plus adonnée que jamais aux plaisirs. Qu'elle avait en aversion tout ce qui s'appelle affaires, en sorte que ses ministres et le Chancelier ne sauraient souvent comment s'y prendre pour lui faire signer les dépêches les plus importantes, et que, dans ses mouvements d'impatience, lorsqu'ils revenaient trop fréquemment à la charge, elle était quelquefois allée jusqu'à les menacer de la Sibérie.

Que le Grand-Duc était souverainement imprudent dans ses discours, le plus souvent mal avec l'Impératrice, peu considéré, pour ne pas dire méprisé, de la nation, et d'une prévention extraordinaire pour son pays de Holstein;33-1 que le jeune Iwan était toujours au même endroit et séparé de son père, mais qu'on prenait soin de son éducation; que l'Impératrice le nommait quelques fois, ce qu'elle n'avait jamais fait par le passé, et qu'étant un jour fort en colère contre son neveu, elle lui avait fait dire, en autant de termes, qu'il devait se souvenir qu'un Czarowitz avait été mis à la forteresse et y était mort et qu'il y avait un successeur dans la personne du jeune Iwan qui pourrait prendre sa place, s'il ne changeait pas de conduite.

Que le crédit du Chancelier avait diminué et que son pouvoir n'était pas tout-à-fait aussi despotique que dans les premières années de son ministère, mais que celui du comte Woronzow n'avait pas augmenté pour cela; que le comte Bestushew baissait à tous égards, mais que malgré cela il se soutiendrait vraisemblablement sous le règne de l'Impératrice, et cela en partie par le défaut de sujets propres à le remplacer, et en partie aussi par la division qui régnait dans le parti opposé, dont chacun tirait de son côté et ne songeait qu'à faire sa fortune aux dépens d'autrui; que le comte Woronzow était honnête homme, mais indolent. Que le système du Chancelier était pacifique en dépit de tout ce qu'il disait et faisait pour faire croire le contraire, dont lui, comte Lynar, donne pour raison la façon de penser de sa souveraine,<34> à laquelle il était obligé de s'accommoder, et que sa propre conservation l'exigeait ainsi, puisqu'il ne risquait rien pendant la paix, et qu'il risquerait tout par une guerre. Que pour ce qui était des ministres étrangers, il s'en fallait beaucoup que le comte Pretlack y jouât un rôle aussi brillant que celui qu'il avait joué pendant sa première mission34-1 et qu'il n'était, à proprement parler, ni bien ni mal; que Guy Dickens se tenait fort tranquillement et se contentait de ménager tout doucement les intérêts de sa cour; que Funcke, ministre de Saxe, était toujours le bras droit du Chancelier, et que l'envoyé de Hollande34-2 était aussi fort bien dans son esprit et qu'il s'en servait dans plus d'une occasion.

Voilà ce qu'on a pu tirer de particularités du susdit comte de Lynar, que je vous communique telles qu'elles m'ont été marquées, sans les garantir cependant en tout et absolument pour vraies, étant connu que ledit comte a toujours eu du penchant pour la Russie. En attendant, je veux bien permettre que, sauf cette correction, vous fassiez part de tout ceci aux ministres de France, en les priant de vouloir ménager cette confidence.

Nach dem Concept.



32-3 Vergl. S. 29.

33-1 Vergl. Bd. VIII, 602.

34-1 Vergl. Bd. VII, 387; VIII, 600.

34-2 Swart.