5512. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A COMPIÈGNE.
Potsdam, 4 juillet 1752.
J'ai bien reçu votre rapport du 23 du mois passé. Si M. de Saint-Contest continue d'envisager le dessein des cours de Vienne et d'Hanovre de brusquer l'élection comme une simple menace pour en imposer aux cours électorales qui leur sont opposées, je crains fort qu'il ne se voie grossièrement trompé dans ses conjectures, et les nouvelles que je vous ai communiquées moyennant l'ample dépêche que mon courrier vous aura<154> présentement rendue,154-1 prouveront, je crois, clairement qu'il ne s'agit pas, dans ce dessein, ni de menace à faire ni démonstration, mais d'un concert pris qu'on veut exécuter réellement, et que par conséquence l'on ne saura arrêter qu'avec de la prudence et de l'adresse, à moins qu'on ne veuille absolument s'y opposer à main armée.
A cette occasion, je vous ordonne encore de représenter de ma part aux ministres de France que comme ami véritable et fidèle de la France je les priais avec instance de ne vouloir point se précipiter là-dessus; que l'affaire était délicate; qu'en parlant d'abord trop haut, l'on s'avancerait à n'en pouvoir plus reculer, et que, si les autres allaient, malgré cela, leur train, l'on serait nécessité de soutenir ses menaces; que le parti que je leur avais proposé, de gagner d'abord et même à tout prix l'électeur de Bavière, me paraissait encore sûr et convenable; que la dépense que cela coûterait à la France, ne saurait jamais être comparée à celle que la guerre demandait, et qu'en gagnant ce Prince pour nous, nous autres électeurs opposants serons quatre contre cinq et aurons une espèce d'égalité avec les autres partisans de l'élection qui imposera en sorte que par là nous pourrons peut-être ramener les affaires à la voie des négociations où elles ont été jusqu'à présent; que, supposé qu'il n'y aurait pas moyen de porter les choses à la négociation, alors nous quatre Électeurs pourrions entremettre notre protestation, et l'on fera association entre les Princes les plus puissants de l'Empire, que la France a autrefois désirée154-2 et qu'elle appuierait et maintiendrait comme garante de la paix de Westphalie. Enfin, comme je ne doute pas que vous ayez compris parfaitement mes intentions et ma façon de penser sur tout ceci, je laisse à votre dextérité et savoir-faire d'en faire vos représentations de la manière la plus convenable, mais toujours d'une façon que vous tiriez une réponse claire là-dessus de M. de Contest, afin que je puisse prendre mes mesures en conséquence.
Après m'être expliqué sur tout cela, je veux bien vous parler d'un avis qui m'est venu de bonne main de Copenhague, en conséquence duquel le ministre de France, l'abbé Lemaire, après le mauvais tour que le baron de Bernstorff lui a joué par rapport à l'affaire de Landskrona,154-3 était pleinement convaincu que la cour de France s'était bien trompée avec le baron de Bernstorff, et que ce serait se flatter d'une chose absolument impossible que de croire de pouvoir jamais faire marcher droit ce ministre, qui tenait par plus d'un principe à l'Angleterre et l'Hanovre. L'on ajoute qu'à moins que la France ne voulût perdre le Danemark, il serait indispensablement nécessaire de culbuter ce ministre; que sans cela tous les autres contrecoups qu'on lui ferait, ne l'apprendraient qu'à dissimuler davantage, et qu'inébranlable dans son système d'attirer le Danemark dans le parti de l'Angleterre, il parviendrait à ses<155> desseins infailliblement. Que, comme son crédit auprès de son maître paraissait à présent ébranlé par ses démarches dans l'affaire de Landskrona et que d'ailleurs le grand-maréchal comte de Moltke avait déjà tant de sujets de mécontentement de ce ministre, il ne demanderait pas mieux que d'agir contre lui; mais comme le Grand-Maréchal était trop timide pour prendre sur soi une telle affaire, à moins qu'il ne se sentît puissamment appuyé des cours alliées au Danemark, on manquerait le coup, pourvu que ces cours alliées de Danemark, de concert avec moi, ne témoignassent hautement d'avoir la plus grande défiance de ce ministre, sans en revenir, en refusant même de traiter avec lui.
L'on m'assure que, si je voulais en faire écrire à la cour de France, je la trouverais très disposée à faire cause commune pour culbuter ce ministre; et pour la cour de Suède, on pourrait espèrer qu'elle agirait volontiers de concert, ayant déjà éprouvé ses mauvaises intentions. Qu'au reste, pour réussir, il importait extrêmement de ne pas perdre du temps et profiter des dernières démarches de ce ministre contre la Suède, sans lui laisser le temps de gagner le comte de Moltke, ce qui faisait aujourd'hui son principal objet. L'on finit qu'il paraissait que ce ministre voudrait se raccommoder avec l'abbé Lemaire, mais que celui-ci ne saurait plus prendre de confiance en lui et qu'il risquerait tout pour le perdre, à moins que sa cour, peut-être par des intérêts particuliers, ne l'obligeât de changer de sentiment.
Comme il est assuré que, tandis que ce ministre sera en poste, il ne cessera jamais de faire tout le mal possible à la France et à ses alliés et qu'il ne vise qu'en détacher le roi de Danemark pour le jeter dans le parti du roi d'Angleterre, je veux que vous vous expliquiez confidemment sur tout ce que dessus avec M. de Saint-Contest, en lui disant que je laissais à sa pénétration s'il ne convenait pas aux intérêts de la France de se défaire d'un ministre si mal intentionné contre elle et contre ses alliés, dans une occasion qui s'y présentait à présent si favorablement; que nous serions toujours mieux avec le comte de Moltke, si celui-ci avait la place de l'autre, au lieu que, tandis que le baron de Bernstorff y resterait, la France ne saurait jamais compter sur le Danemark. Que quant à la déclaration à faire sur ce sujet, je me réglerai toujours sur la France, et, pourvu que celle-ci fît parler de la manière ci-dessus proposée, je ferai en parler également de ma part, et que je me conformerai en tout ceci aux avis de M. de Contest.
Au reste, vous observerez qu'en faisant ces insinuations à M. de Contest, vous y ferez paraître le moins qu'il sera possible l'abbé Lemaire, pour ne le point exposer aux soupçons de sa cour comme c'était lui qui avait part à cet avis. J'attends votre rapport là-dessus, que vous m'adresserez immédiatement.
Federic.
Nach dem Concept.
<156>154-1 Nr. 5504.
154-2 Vergl. S. 149 Anm. 1.
154-3 Dänemark hatte am schwedischen Hofe, gegen den Rath Frankreichs, Vorstellungen wegen der Aufführung von Befestigungen bei Landskrona gemacht.