4) Voltaire au Roi
aux delices prés de Geneve
4 aoust 1755.
Sire.
Si les belles lettres qui ont servi de délassement à votre Majesté dans ses travaux s'amusent encore, permettez, que je mette a vos pieds et sous votre protection cette tragédie + que je commançai chez vous avant d'avoir le malheur de vous quitter; j'avois volu la finir dans votre palais de Potsdam aussi bien que ma vie, les beautez du lac de Geneve et de la retraite que j'ay choisie pour mon tombeau sont bien loin de me consoler du malheur de n'être plus auprés de votre majesté.
Je ne peux soulager mon amertume qu'en saisissant les moindres occasions de vous renouvellez mes sentiments, ils sont tels qu'ils étaient quand vous avez daigné m'aimer, et j'ose coire encore que vous n'êtes pas insensible à l'admiration très sincère d'un homme qui vous a aproché; et dont la douleur extreme est étouffée par le souvenir des vos premières bontez; ne pouvant avoir la consolation de me mettre moy même aux pieds de votre majesté, je veux avoir au moins celle de m'entretenir de vous au milord maréchal; je ne suis pas éloigné de luy ++; et si votre majesté m'en donne la permission, si ma malheureuse santé m'en laisse la force, j'irai luy dire ce que je ne vous dis pas, combien vous êtes au dessu des autres hommes et à quel point j'ai eu la hardiesse et la faiblesse de vous aimer de tout mon coeur, mais je ne dois parler à votre majesté que de mon profond respect.
V.
+ Orphelin de la Chine ou Gengis-Chan (v. Luchet histoire litteraire de Voltaire III. 180.)
++ Lord Marchall war in Neuchatel.