<204>Faisait sans préjugés un retour sur lui-même,
Il trouverait en lui le nombre de défauts
Qu'il va si hautement blâmer chez ses égaux;
On le verrait bientôt, quand son ami le blesse,
Compenser avec lui faiblesse pour faiblesse,
Et, l'aidant à voiler certains défauts trop nus,
Relever de bon cœur l'éclat de ses vertus.
Qui trouve tout mauvais est rempli de malice,
Un œil qui voit tout jaune est atteint de jaunisse;
Souvent les préjugés et les préventions
Nous dictent les arrêts de nos décisions.
La nature, en suivant ses maximes constantes,
Tailla tous les objets à faces différentes :
Burrhus voit le dessus, Séjan voit le revers,
De là sur un objet cent jugements divers.
J'ai honte qu'un soldat nourri dans l'ignorance
Réprouve d'un lettré l'étude et la science,
Ou lorsqu'aux financiers quelque pédant fourré
De leur utile emploi fait un portrait outré,
Ou qu'en argumentant l'homme de loi s'engage
De prouver qu'un soldat est un anthropophage.
Extravagants bouffis de vos faibles exploits,
Don Quichottes zélés de vos divers emplois,
Ne verrez-vous jamais que l'immense nature
A bien plus d'une fin a fait la créature?
Tout être eut ses destins, tout homme eut ses talents,
Et pour le bien du monde ils sont tous différents.
Si chacun s'enrôlait sous Cujas et Bartole,
Qui, de ses bras nerveux rendant la terre molle,
Déchirerait son sein, cultiverait son champ,
Ramasserait les blés coupés d'un fer tranchant?