<245>priser les périls, les dangers et la mort même, lorsque c'est le devoir, l'honneur et une réputation immortelle qui le demandent.
Quelle gloire n'est point attachée à l'habileté, à la sagesse et à la valeur d'un prince, lorsqu'il garantit ses États de l'incursion des ennemis, qu'il triomphe par son courage et sa dextérité des entreprises violentes de ses adversaires, et qu'il soutient par sa fermeté, par sa prudence et par ses vertus militaires les droits qu'on veut lui contester par injustice et par usurpation!
Toutes ces raisons réunies doivent, ce me semble, obliger les princes à se charger eux-mêmes de la conduite de leurs troupes et à partager avec leurs sujets tous les périls et les dangers où ils les exposent.
Mais, dira-t-on, tout le monde n'est pas né soldat, et beaucoup de princes n'ont ni l'esprit ni l'expérience nécessaire pour commander une armée. Cela est vrai, je l'avoue; cependant cette objection ne doit pas m'embarrasser beaucoup; car il se trouve toujours des généraux entendus dans une armée, et le prince n'a qu'à suivre leurs conseils; la guerre s'en fera toujours mieux que lorsque le général est sous la tutelle du ministère, qui, n'étant point à l'armée, est hors de portée de juger des choses, et qui met souvent le plus habile général hors d'état de donner des marques de sa capacité.
Je finirai ce chapitre après avoir relevé une phrase de Machiavel qui m'a paru très-singulière. « Les Vénitiens, dit-il, se défiant du duc de Carmagnole, qui commandait leurs troupes, furent obligés de le faire sortir de ce monde. »
Je n'entends point, je l'avoue, ce que c'est que d'être obligé de faire sortir quelqu'un de ce monde, à moins que ce ne soit le trahir, l'empoisonner, l'assassiner, en un mot, le faire mettre à mort. C'est ainsi que ce docteur de la scélératesse croit rendre les actions les plus noires et les plus coupables innocentes, en adoucissant les termes.