<152> En un mot, cette pièce me paraît un dialogue divinement rimé Souvenez-vous cependant que la critique est aisée, et que l'art est difficile.a

Je n'ai compté vous revoir que cet été; si cela se peut, et que vous fassiez un tour ici au mois de juin ou de juillet, cela me fera beaucoup de plaisir. Je vous promets la lecture d'un poëme épiqueb de quatre mille vers ou environ, dont Valori est le héros; il n'y manque que cette servante qui alluma dans vos sens des feux séditieux que sa pudeur sut réprimer vivement.c Je vous promets même des belles plus traitables. Venez sans dents, sans oreilles, sans yeux et sans jambes, si vous ne le pouvez autrement; pourvu que ce je ne sais quoi qui vous fait penser et qui vous inspire de si belles choses soit du voyage, cela me suffit.

Je recevrai volontiers les fragments des campagnes de Louis XV, mais je verrai avec plus de satisfaction encore la fin du Siècle de Louis XIV. Vous n'achevez rien, et cet ouvrage seul ferait la réputation d'un homme. Il n'y a plus que vous de poëte français, et que Voltaire et Montesquieud qui écrivent en prose. Si vous faites divorce avec les Muses, à qui sera-t-il désormais permis d'écrire? ou, pour mieux dire, de quel ouvrage moderne pourra-t-on soutenir la lecture?

Ne boudez donc point avec le public, et n'imitez point le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qui punit le crime des pères jusqu'à la quatrième génération. Les persécutions de l'envie sont un tribut que le mérite paye au vulgaire. Si quelques misérables auteurs clabaudent contre vous, ne vous imaginez pas que les nations et la postérité en seront les dupes; marque de cela, malgré la vétusté des


a Voyez t. IX, p. 171, et t. X, p. 246.

b Le Palladion.

c Dans sa lettre à Voltaire, du 7 avril 1744, Frédéric l'appelle l'amant de la cuisinière de Valori.

d Voyez t. II, p. 42, t. IX, p. III et III, et ci-dessus, p. 58.