<66>Des peuples prosternés mépriser les hommages,
Tandis que le malheur persécute les sages?
Le monde est donc, ma sœur, l'empire du hasard;
Il élève, il détruit; bizarre à notre égard,
Il usurpe les droits de notre prévoyance.
Ne vous figurez point cette aveugle puissance,
Ce dieu du paganisme, émule du destin,
Qui dispose de tout sans choix et sans dessein.
Le hasard est l'effet de ces causes secondes
Dont les ressorts, couverts de ténèbres profondes,
Sous leur déguisement sachant nous échapper,
Par leur fausse apparence ont l'art de nous tromper.
Le philosophe sait que dans toutes les choses
Les effets sont produits du sein fécond des causes;
D'un pas sûr, mais tardif, par le raisonnement
Il remonte au principe après l'événement.
L'insolent politique, ambitieux et sombre,
Porte d'un bras hardi sa lumière en cette ombre;
Il perce l'avenir sans l'avoir aperçu,
Il règle, embrouille tout, et se trouve déçu.
L'aveugle, en tâtonnant, prend pour des certitudes
La trompeuse apparence et les vicissitudes,
Et dans ce labyrinthe ardent à pénétrer,
Sans fil pour le guider, il y court s'égarer,
Bronchant à chaque pas au bord des précipices.
Qui peut lui révéler les bizarres caprices
De tant de faibles rois pétris d'illusions,
Changeants dans leurs faveurs, jouets des passions?
Quels seront les devins, ou quels esprits sublimes
Pourront lui désigner l'espèce de victimes
Que l'ange destructeur, armé par le trépas,