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Ils disaient tous : Nous lui fîmes crédit,
Et notre argent jamais il ne rendit.
Distinctement, la mine refrognée,
Le vieux Caron ces propos entendit,
Et d'un grand coup de sa rame empoignée,
Qui durement sur votre dos fondit,
Vous repoussa de sa barque et de l'onde;
D'un soubresaut vous revîntes au monde,
Et notre vieux baron il nous rendit.
Qu'on est heureux quand, domptant ses faiblesses,
On se refuse à l'appât des richesses!
Un avare est un faux calculateur,
Qui se méprend sur le fait du bonheur,
Qui, sans jouir, sournois dans sa cellule,
Sans cesse amasse et sans cesse accumule,
Un rustre enfin, dont l'esprit sot et lourd
Ne connut point les charmes de l'amour,
Des beaux esprits les fines gentillesses,
Et les plaisirs des princes, des princesses,
Qui, hors Plutus, pour tout le reste est sourd.
Mais vous, baron, peu soucieux d'espèces,
Vos jours sont purs, et votre esprit serein
N'est point distrait des soins du lendemain;
Vous ignorez et calcul et finance,
Et ne vivez que de bonne espérance.
Ainsi pensait la grave antiquité.
Souvenez-vous qu'en Grèce les sept sages
Ont reconnu de plus grands avantages
Dans l'humble état d'honnête pauvreté
Qu'à posséder de vastes apanages,
Les vils objets de la cupidité.