<137>Qu'il est payé, marquis, pour louanger?
Ou bien il faut qu'il renonce au salaire,
Comme aux faveurs d'un Mécène d'Asow,
A Pétersbourg surnommé Schuwaloff.a
Quoi! le rival de Virgile a la rage
De promener son Apollon gueuser
Chez le barbare, au plus lointain rivage,
Pour que l'Europe, enfin, sur son vieux âge,
Le connaissant, sache le mépriser!
Vit-on jamais de plus folle boutade?
Il veut du Czar, panégyriste fade,
Hors de propos nous exalter le nom;
C'est un Lycurgue, un Socrate, un Solon!
Mais quel Solon! un tyran parricide,
Qui, réprimant la nature et ses cris,
Souverain dur et parent plus perfide,
Souilla ses mains dans le sang de son fils!
De Charles douze il écrivit l'histoire;
Mais, en faveur du Czar, son âme noire
En vain s'efforce à présent d'obscurcir
De ce héros la valeur et la gloire.
L'orateur peut parfois nous éblouir;
La vérité, dont souvent il se joue,
Est à la fin, quand il croit réussir,
L'écueil fatal où son crédit échoue.

Au camp de Nossen, 1er d'octobre 1761.


a Voltaire dit au comte Iwan Schuwaloff, dans sa lettre du 24 juin 1757 : « Monsieur, j'ai reçu les cartes que Votre Excellence a eu la bonté de m'envoyer. Vous prévenez mes désirs en me facilitant les moyens décrire une Histoire de Pierre le Grand, et de faire connaître l'empire russe, etc. » La première partie de l'Histoire de Russie sous Pierre le Grand parut en 1760.