<436> je dirai toujours dorénavant : Vivent les Grecs et les professeurs! De Gottingue j'allai à Cassel, où j'arrivai si faible, que je n'eus aucune envie de voir le Landgrave, ni ses tableaux; je vins avec grand' peine à Francfort avec la fièvre, et menacé de reprendre la dyssenterie. Je voulus louer un appartement dans cette ville pour me reposer quelques jours; mais votre résident me dit que je manquerais au respect que je devais à V. M., parce que les magistrats obligeaient les bourgeois qui logeaient des Prussiens d'en demander la permission, ce qu'ils ne faisaient à aucune autre nation. Il ajouta qu'il fallait que je restasse au cabaret, ou que je partisse pour une autre ville. Je pris ma résolution, car ma demeure pendant neuf jours dans une auberge à Gottingue m'avait coûté cent cinquante écus, ayant avec moi sept personnes, en comptant trois domestiques. Enfin, Sire, je suis arrivé à Strasbourg moitié mort, et, depuis quatre jours que j'y suis, voici le premier où j'ai assez de force pour avoir l'honneur de vous écrire. Je compte rester ici encore une semaine pour me remettre un peu. Je n'ai plus que trente milles à faire en poste; après cela, je descends la Saône jusqu'à Lyon, et le Rhône de Lyon à Arles; me voilà à quatre milles d'Aix. J'ai bien pris la résolution, en retournant, de ne plus faire les cent milles de Strasbourg à Berlin. Je retournerai par eau jusqu'à Auxonne, à soixante lieues de Strasbourg. A Strasbourg, je descendrai le Rhin jusqu'en Hollande, où je m'embarquerai pour Hambourg; dans le beau temps, c'est un voyage de deux jours. Vous me direz que l'on peut se noyer. Je répondrai à cela que tous ceux qui vont de Hambourg en Angleterre et en Hollande ne se noient pas. V. M. dira, en lisant ma lettre, qu'elle m'avait prédit tout ce qui m'est arrivé. Je conviens qu'elle aura raison; mais, si j'avais à refaire mon voyage, je le ferais encore, parce qu'il était absolument nécessaire, et qu'il fallait assurer une fois pour toutes un état, un sort et une demeure à madame d'Argens après ma mort, que l'âge et la faiblesse de ma santé paraissent rendre assez prochaine.