<67> brûlé par la main du bourreau; l'arrêt qui le condamne a été ensuite mis dans toutes les gazettes étrangères. Je prie V. M. de se souvenir que ce livre est imprimé depuis vingt-trois ans, qu'il a été fait en Hollande, par conséquent dans un pays où les Français n'ont aucune juridiction, que personne jusqu'ici, en France, ne s'était avisé d'y trouver rien de contraire ni aux mœurs, ni à la Divinité. Peut-on montrer plus de haine et de passion? Ces gens-là ne cherchent pas même à les couvrir, car ils ont fait brûler par le même arrêt le poëme de Voltaire sur la religion naturelle, et ils ont eu l'insolence de mettre dans leur arrêt, qu'ils ont fait imprimer : « Poëme par le sieur de Voltaire, dédié au roi de Prusse. » Ce qui m'afflige le plus, c'est que, malgré tant de sujets de me plaindre, je suis obligé de me taire, de dissimuler et d'attendre la paix pour ravoir ce qui me revient, et surtout le bien de ma mère, qui a quatre-vingts ans passés. Mais je puis protester à V. M. que, si j'avais le malheur de la perdre, j'aimerais mieux être privé de tout ce que j'ai dans le monde que de vivre dans un pays où de pareilles indignités sont autorisées. Si j'avais vingt ans de moins, je demanderais à V. M. la permission de faire la campagne dans l'armée du prince Ferdinand. J'ai l'honneur, etc.

51. AU MARQUIS D'ARGENS.

Rohnstock, 27 mars 1759.

Malheur et embarras d'autrui n'est que songe, mon cher marquis. Des cent mille hommes ne prennent guère de terrain sur le papier; mais, lorsqu'il faut les combattre, que leur nombre vous presse de tous les côtés, qu'il y a dix projets également dangereux auxquels il faut s'opposer sans en avoir le moyen, courir avec des armées d'un