151. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, 22 octobre 1760.



Sire,

J'espère que Votre Majesté aura reçu la longue lettre que j'eus l'honneur de lui écrire il y a deux jours, dans laquelle je prenais la liberté de l'instruire de tout ce que j'avais vu moi-même pendant la courte irruption que les ennemis ont faite à Berlin. Leur mauvaise volonté a produit peu d'effet, et l'on retrouve tous les jours tout ce qu'ils ont vendu ou dispersé. Actuellement, la seule chose qui occupe la ville, c'est l'impossibilité où se trouve la moitié des citoyens de payer la contribution. M. Gotzkowsky, Sire, qui s'est distingué par le zèle qu'il a fait paraître pour les intérêts de V. M. et pour ceux du public, va proposer à V. M. un projet qui évitera la ruine de beaucoup de familles, et qui ne sera à charge ni à vous, ni à l'État; et je ne doute pas que vous ne l'approuviez. Il est certain que, s'il faut que la contribution soit payée ainsi que celle qu'on a déjà payée au général<226> Hadik, plus de six ou sept mille personnes quitteront Berlin; car on a supputé qu'un ouvrier qui gagne six ou sept écus par mois sera obligé de payer plus de quarante écus. Quand même on viendrait à bout d'empêcher ces gens de sortir de Berlin, il faudra leur faire vendre une partie de leurs effets pour payer leur taxe. Tout cela sera évité par le plan que les principaux citoyens et les magistrats ont formé, et qui ne peut manquer d'être approuvé par un roi qui aime ses sujets et qui en est adoré. Vous aurez vu, Sire, ce que je vous ai marqué dans ma dernière lettre à ce sujet, et je puis vous jurer sur ce qu'il y a de plus sacré que la flatterie n'a aucune part à ce discours; c'est la pure et simple vérité.

Voilà tout le Canada pris; les Anglais peuvent faire revenir de l'Amérique quarante vaisseaux de guerre et douze à quinze mille hommes, car ils n'ont pas à craindre sûrement que les Français, qui n'ont plus de flotte, envoient une nouvelle armée dans l'Amérique. Nous verrons ce qu'ils feront. V. M. sait mieux que moi si elle doit s'en louer, ou non. Quant à moi, il me paraît que dix mille hommes des alliés en Saxe nous auraient évité l'irruption des Autrichiens, et nous auraient conservé la Saxe, que vous reprendrez bientôt malgré tous vos ennemis. J'ai l'honneur, etc.