<26> moitié de ce que payent les autres puissances de l'Europe : le soldat russe ne reçoit que huit roubles par an, et des vivres qui s'achètent à vil prix. Ces vivres donnent lieu à ces équipages énormes qu'ils traînent après leurs armées : dans la campagne que le maréchal Münnich fit l'année 1737 contre les Turcs, on comptait dans son armée autant de chariots que de combattants.

Pierre Ier avait formé un projet que jamais prince avant lui n'avait conçu : au lieu que les conquérants ne s'occupent qu'à étendre leurs frontières, il voulait resserrer les siennes. La raison en était que ses États étaient mal peuplés, en comparaison de leur vaste étendue. Il voulait rassembler entre Pétersbourg, Moscou, Kasan et l'Ukraine, les douze millions d'habitants éparpillés dans cet empire, pour bien peupler et cultiver cette partie, qui serait devenue d'une défense aisée par les déserts qui l'auraient environnée, et séparée des Persans, des Turcs et des Tartares. Ce projet, comme beaucoup d'autres, avorta par la mort de ce grand homme.

Le Czar n'avait eu le temps que d'ébaucher le commerce. Sous l'impératrice Anne, la flotte marchande des Russes ne pouvait entrer en aucune comparaison avec celles des puissances du Sud. Cependant tout annonce à cet empire que sa population, ses forces, ses richesses et son commerce, feront les progrès les plus considérables. L'esprit de la nation est un mélange de défiance et de fourberie; paresseux, mais intéressés, ils ont l'adresse de copier, mais non le génie de l'invention. Les grands sont factieux; les gardes, redoutables aux souverains; le peuple est stupide, ivrogne, superstitieux et malheureux. L'état des choses, tel que nous venons de le rapporter, a sans doute empêché que jusqu'ici l'Académie des Sciences n'ait fait des élèves moscovites.

Depuis les désastres de Charles XII et l'établissement d'Auguste de Saxe en Pologne, depuis les victoires du maréchal Münnich sur les Turcs, les Russes étaient réellement les arbitres du Nord; ils étaient