<309>bien d'impertinences ne se sont pas dites en philosophie! De quelles absurdités l'esprit humain ne s'est-il point avisé dans les écoles! Quel paradoxe reste-t-il à débiter, qu'on n'ait point soutenu? Les hommes ont toujours penché vers le faux; je ne sais par quelle bizarrerie la vérité les a toujours moins frappés. La prévention, les préjugés, l'amour-propre, l'esprit superficiel, seront, je crois, pendant tous les siècles, les ennemis qui s'opposeront aux progrès des sciences; et il est bien naturel que des savants de profession aient quelque peine à recevoir les lois d'une jeune et aimable dame qu'ils reconnaîtraient tous pour l'objet de leur admiration dans l'empire des grâces, mais qu'ils ne veulent point reconnaître pour l'exemple de leurs études dans l'empire des sciences. Vous rendez un hommage vraiment philosophique à la vérité. Ces intérêts, ces raisons petites ou grandes, ces nuages épais qui obscurcissent pour l'ordinaire l'œil du vulgaire, ne peuvent rien sur vous; et les vérités s'approchent autant de votre intelligence que les astres que nous considérons par un télescope se manifestent plus clairement à notre vue.a

Il serait à souhaiter que les hommes fussent tous au-dessus des corruptions de l'erreur et du mensonge; que le vrai et le bon goût servissent généralement de règles dans les ouvrages sérieux et dans les ouvrages d'esprit. Mais combien de savants sont capables de sacrifier à la vérité les préjugés de l'étude, et le prix de la beauté, et les ménagements de l'amitié? Il faut une âme forte pour vaincre d'aussi puissantes oppositions, et le triomphe qu'on remporte en ce sens-là sur l'amitié est plus grand que celui qu'on remporte sur soi-même.b Les vents sont très-bien, comme vous en convenez, dans la caverne d'Éole, d'où je crois qu'il ne faut les tirer que pour cause.


a Les dernières lignes de cet alinéa, depuis « et les vérités, » sont omises dans l'édition de Kehl; nous les tirons des Œuvres posthumes, t. X, p. 140.

b Le passage qui commence par les mots « et le triomphe » est également tiré des Œuvres posthumes, t. X, p. 141.