<63> ils ne seraient pas corps, et il se trouverait que la matière ne serait pas composée de matière, que les corps ne seraient pas composés de corps; ce qui serait un peu étrange.

Que sera-ce donc que les premiers principes de la matière? Ce seront des corps divisibles sans doute, mais qui seront indivisés tant que la nature des choses subsistera.

Mais quelle sera la raison suffisante de l'existence des corps? Il n'y a certainement que deux façons de concevoir la chose : ou les corps sont tels par leur nature nécessairement, ou ils sont l'ouvrage de la volonté d'un libre et très-libre Être suprême. Il n'y a pas un troisième parti à prendre. Mais dans les deux opinions, on a des difficultés bien grandes à résoudre.

Quelle sera donc l'opinion que j'embrasserai? Celle où j'aurai, de compte fait, moins d'absurdités à dévorer. Or, je trouve beaucoup plus de contradictions, de difficultés, d'embarras dans le système de l'existence nécessaire de la matière; je me range donc à l'opinion de l'existence de l'Être suprême, comme la plus vraisemblable et la plus probable.

Je ne crois pas qu'il y ait de démonstration proprement dite de l'existence de cet Être indépendant de la matière. Je me souviens que je ne laissais pas, en Angleterre, d'embarrasser un peu le fameux docteur Clarke, quand je lui disais : On ne peut appeler démonstration un enchaînement d'idées qui laisse toujours des difficultés. Dire que le carré construit sur le grand côté d'un triangle est égal au carré des deux autres côtés, c'est une démonstration qui, toute compliquée qu'elle est, ne laisse aucune difficulté. Mais l'existence d'un Être créateur laisse encore des difficultés insurmontables à l'esprit humain. Donc cette vérité ne peut être mise au rang des démonstrations proprement dites. Je la crois, cette vérité; mais je la crois comme ce qui est le plus vraisemblable; c'est une lumière qui me frappe à travers mille ténèbres.