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552. DE VOLTAIRE.

Ferney, 9 décembre 1776.

Sire, il n'est pas étonnant qu'un homme qui a passé sa vie à barbouiller du papier contre ceux qui trompent les hommes, qui les volent, et qui les persécutent, soit un peu poursuivi par ces gens-là sur la fin de ses jours. Il est encore moins étonnant que le Marc-Aurèle de notre siècle prenne pitié de ce vieil Épictète. V. M. daigne me consoler, d'un trait de plume, des cris de la canaille superstitieuse et implacable.

J'ai pris la liberté de déposer à vos pieds les raisons qui m'avaient privé longtemps de l'honneur de vous écrire; et parmi ces raisons, la première a été la nécessité où je suis réduit d'être un petit Libaniusa qui répond aux Grégoire de Nazianzeb et aux Cyrille.c

La fourmilière que je fais bâtir dans ma retraite, et qui est rongée par les rats de la finance française, était le second motif de ma douleur et de mon silence; et l'oubli de votre ancien pupille M. le duc de Würtemberg était le troisième.

Dans le chaos des petites affaires qui dérangent les petites têtes, je n'osais pas, à mon âge, écrire à V. M.; je tremblais de radoter devant le maître de l'Europe.

La même main qui instruit les rois, et qui console d'Alembert, daigne aussi s'étendre pour moi. V. M. est trop bonne d'avoir bien voulu écrire un mot en ma faveur dans le Würtemberg; c'est malheureusement dans le comté de Montbelliard qu'est ma dette, et cette principauté de Montbelliard ressortit au parlement de Besançon; ce sont des affaires qui ne finissent point, et moi, je vais bientôt finir.


a Voyez ci-dessus, p. 298.

b Voyez t. XIII, p. 117.

c Saint Cyrille, patriarche d'Alexandrie, mort en 444; son ouvrage, Dix livres contre Julien l'Apostat, était dédié à l'empereur Théodose.