<548>Rien de plus sage, Sire, et, ce me semble, de plus vrai que les réflexions par lesquelles V. M. débute dans cet écrit, sur le peu de certitude des connaissances métaphysiques. La devise de Montaigne, Que sais-je?a me paraît la réponse qu'on doit faire à presque toutes les questions de ce genre; et je pense en particulier, par rapport à l'existence d'une intelligence suprême, que ceux qui la nient avancent bien plus qu'ils ne peuvent prouver, et qu'il n'y a dans cette matière que le scepticisme de raisonnable. On ne peut nier sans doute qu'il n'y ait dans l'univers, et en particulier dans la structure des animaux et des plantes, des combinaisons de parties qui semblent déceler une intelligence; elles prouvent l'existence de cette intelligence, comme une montre prouve l'existence d'un horloger; cela paraît incontestable. Mais quand on veut aller plus loin, et qu'on se demande : Quelle est cette intelligence? a-t-elle créé la matière, ou n'a-t-elle fait simplement que l'arranger? La création est-elle possible? et si elle ne l'est pas, la matière est donc éternelle? Et si la matière est éternelle, et qu'elle n'ait eu besoin d'une intelligence que pour être arrangée, cette intelligence est-elle unie à la matière, ou en est-elle distinguée? Si elle y est unie, la matière est proprement Dieu, et Dieu la matière; et si elle en est distinguée, comment conçoit-on qu'un être qui n'est pas matière agisse sur la matière? D'ailleurs, si cette intelligence est infiniment sage et infiniment puissante, comment ce malheureux monde, qui est son ouvrage, est-il si plein d'imperfections physiques et d'horreurs morales? Pourquoi tous les hommes ne sont-ils pas heureux et justes? V. M. assure que l'éternité du monde répond à cette question; elle y répond sans doute, mais, ce me semble, dans ce seul sens que, le monde étant éternel, et par conséquent nécessaire, tout ce qui est ne peut pas être autrement, et pour lors on rentre dans le système de la fatalité et de la nécessité, qui ne s'accorde guère avec l'idée d'un Dieu infiniment


a Voyez t. XIV, p. 20; t. XXI, p. 222; et t. XXIII, p. 191.