<604> surface de la terre, et à l'esprit de justice, de désintéressement, de vérité, qui règne sur l'espèce humaine. Il faut avouer, Sire, qu'un pareil séjour est délicieux pour un philosophe, et qu'il doit être bien fâcheux d'en être expulsé, soit par la faim, soit par une indigestion, soit par les vrais fidèles, russes ou mahométans, qui sont si dignement occupés à s'égorger. V. M. espère qu'il se trouvera de bonnes âmes qui rétabliront la paix entre eux. Mon premier mouvement est de le souhaiter; mais il reste à savoir si, tout bien considéré, c'est procurer un grand bien à la triste espèce humaine que de l'empêcher de se détruire. C'est à V. M. à voir ce qu'il y a de mieux à faire sur ce point important; et je suis bien assuré d'avance qu'elle fera ce qu'il y a de mieux. Mais pour cela il est nécessaire qu'elle songe d'abord à se conserver; voilà ce qu'elle a de mieux à faire pour le bien de l'humanité et pour l'intérêt de la philosophie.

V. M. voudrait que j'écrivisse à Voltaire, à propos de philosophie, pour l'engager à ne point s'acharner sur les morts, ni sur les vivants qui sont censés morts, et qui devraient l'être pour lui par le peu de mal qu'ils peuvent lui faire. Hélas! Sire, il y a longtemps que j'ai pris la liberté de lui donner ce conseil, et V. M. voit quel en est le fruit. Il faut gémir sur le sort de l'humanité, qui ne permet pas qu'un seul homme ait à la fois tous les talents et toutes les vertus, et qui devrait pourtant le permettre, ne fût-ce que pour dédommager la terre de porter tant d'hommes qui n'ont ni talents, ni vertus. Cependant je ferai encore un nouvel effort d'après les représentations de V. M.; je représenterai, aussi d'après elle, à l'écrivain dont la France s'honore qu'il est trop grand pour cette guerre de chicane avec des pandours; qu'il est trop juste pour ne pas rendre au mérite réel et reconnu la justice qui lui est due; que le plus grand homme a besoin d'indulgence, et s'en rend digne surtout par celle qu'il a pour les autres; que non seulement sa tranquillité, mais ses écrits mêmes y gagneront, et que ces expressions de sa haine qui reviennent