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DISCOURS SUR LES LIBELLES.

Il y a bien des façons de subsister dans le monde; l'industrie et l'esprit d'invention en fournissent tous les jours de nouvelles, sans compter les métiers ordinaires. Le seul talent décrire a enrichi les savants du fruit de leurs veilles; les auteurs du second ordre vivent par leurs libraires; les uns se nourrissent en faisant des vers, les autres en corrigeant les impressions, d'autres en copiant, d'autres enfin se chargent du noble emploi de découvrir les défauts des favoris de la fortune et des gens en place. Ils travaillent ingénieusement sur des caractères qui leur sont inconnus, ils peignent d'imagination, et comme leur pinceau est plus noir que celui de l'Espagnolet, leurs tableaux sont chargés d'ombres. Ils ont l'art de rendre leur héros odieux, et il faut avouer que ce beau talent leur rapporte encore. Cette dangereuse hardiesse gagne et se répand de nos jours; ces messieurs qui s'y livrent doivent craindre que leur nombre ne fasse baisser leurs honoraires, et ne les réduise enfin à la mendicité. Croirait-on bien qu'ils veulent s'attribuer les droits des censeurs de l'ancienne Rome? Je ne trouve qu'une petite différence : Rome élisait ses censeurs, et ces messieurs s'installent eux-mêmes; ils peuvent, comme les rois, s'écrire « par la grâce de Dieu et non par la faveur des hommes. » Il faut avouer que leur ouvrage leur coûte peu de travail; ce n'est pour la plupart qu'une déclamation d'injures, ou le fruit d'une ima-