<107>Non content d'exercer sur lui sa cruauté,
Il prétend le punir durant l'éternité.
Si Lucifer sur nous eût usurpé l'empire,
Notre condition ne pourrait être pire.
Ce n'est point là le Dieu dans mon cœur adoré;
Le mien doit mériter un hommage éclairé.
La terre me l'indique et le ciel me l'annonce,
Un but marqué dans tout en sa faveur prononce :
Mon estomac digère, et des sucs nourrissants
Vont réparer mon être et prolonger mes ans;
Mon œil est fait pour voir, l'oreille pour entendre,
Le pied pour me porter, le bras pour me défendre,
Et si j'ai de l'esprit, celui dont je le tiens
En doit posséder plus que n'en ont les humains :
Qui pourrait me donner ce qu'il n'a pas lui-même?
Voilà pourquoi j'admets ce mobile suprême.a
Le fameux Copernic, vos Newtons, vos experts
Ont deviné les lois qui meuvent l'univers;
Les astres dans leur cours ont une allure stable.
Comment un pur hasard, inconstant, variable,
Pourrait-il maintenir ces éternelles lois
Dont l'art pousse et suspend tant de corps à la fois?
Convenons donc qu'un être intelligent préside
Au ressort qui produit ce spectacle splendide;
Mais sans le définir mon cœur doit l'adorer.
Sans lui je ne pourrais vivre ni respirer :
Donc ce divin moteur est bon par excellence;
Au-dessus des mortels, à l'abri de l'offense,
Rien ne peut l'exciter à la méchanceté.
Je me suis vu souvent sur les bords du Léthé,
Et j'aurais entendu hurler de près Cerbère,
Si l'enfer n'était pas un être imaginaire.
Dans ce moment fatal où la mort m'apparut.
La peur ne m'a jamais fait payer de tribut.
Recueillant mes esprits, concentré en moi-même,
Je fus inébranlable et ferme en mon système;


a Voyez t. VII, p. 128; t. IX, p. 104, 180 et 181; et t. X, p. 65 et 210.