<108>L'erreur, que je bravais étant plein de santé,
Ne prit point à mes yeux l'air de la vérité;
Aucun doute importun ne troubla ma conscience,
Et je fixai la mort d'un œil plein d'assurance.
C'est lorsque notre esprit jouit de sa vigueur
Qu'il faut examiner, sonder la profondeur
Des secrets enfouis au sein de la nature,
Trouver la vérité dans cette nuit obscure,
Peser tout mûrement, avancer à pas lents.
Quand on s'est décidé sur ces points importants,
Rien ne peut plus dès lors troubler la paix de l'âme.
Mais quoi! déjà ces vers font-ils rugir ...?a
N'entends-je pas les noms de relaps, d'apostats?
Nous sommes à ses yeux plus vils que des forçats;
Je suis un échappé des bancs de ses galères,
Ses droits sur moi sont tels que s'en font les corsaires
Sur ceux que la victoire a rendus leurs captifs.
Que l'on me compte donc parmi ces fugitifs
Dont l'effort généreux a su briser les chaînes.
Heureux qui, délivré de ces lois inhumaines,
De ce joug de l'esprit, mortel à la raison,
Méprise également Satan comme Pluton;
Qui d'un bras vigoureux terrasse le mensonge,
Et foule aux pieds l'erreur où l'Europe se plonge!
Tels sont mes sentiments, ô profond d'Alembert!
Et neutre entre Calvin, Ganganelli, Luther,
Je tâche, en tolérant leur fougueuse séquelle,
D'éteindre ou d'amortir la fureur de leur zèle;
Mais ces soins sont perdus, et mes efforts sont vains :
Un mortel rendrait-il des tigres plus humains?
Aussi froid au sujet de dispute et de haine,
Au fanatisme affreux dont leur mal se gangrène,
Qu'exempt des passions dont la frivolité
Entraîne à décider avec témérité,
J'ai consacré mes jours à la philosophie.
J'admets tous les plaisirs innocents de la vie,


a Voyez t. XII, p. 128.