<142>ce Bellérophon terrassa la Chimère, et l'enchantement fut détruit. Si l'on s'arrête aux bassesses grossières de style, Martin Luther ne paraîtra qu'un moine fougueux, écrivain barbare d'un peuple peu éclairé. Si on lui reproche avec justice des invectives et même des injures prodiguées sans nombre, il faut considérer que ceux pour qui il écrivait, s'animaient par les imprécations, et ne comprenaient pas les arguments. Mais si nous examinons en gros l'ouvrage des réformateurs, il faut convenir que l'esprit humain doit à leurs travaux une partie de ses progrès : ils nous ont déchargés d'un nombre d'erreurs qui offusquaient l'esprit de nos pères. En rendant leurs rivaux circonspects, ils étouffèrent de nouvelles superstitions prêtes à éclore; et parce qu'ils étaient persécutés, ils furent tolérants. C'est sous l'asile sacré de cette tolérance établie dans les États protestants que la raison humaine a pu se développer, que des sages ont cultivé la philosophie, et que les bornes de nos connaissances se sont étendues. Quand Luther n'aurait fait que délivrer les princes et les peuples du servile esclavage où les tenait la cour de Rome, il aurait mérité qu'on lui érigeât des autels comme au libérateur de la patrie; et n'eût-il déchiré que la moitié du voile de la superstition, quelle reconnaissance la vérité ne lui en doit-elle pas! L'œil critique et sévère des réformateurs arrêta les Pères du concile de Trente, prêts à faire de la Vierge la quatrième personne de la Trinité; toutefois, pour la consoler, ils lui donnèrent le titre de mère de Dieu et de reine du ciel.

Les protestants, qui se distinguaient par des vertus austères, forcèrent le clergé catholique à mettre plus de décence dans ses mœurs. Les miracles cessèrent; on canonisa moins de saints; le saint-siége ne fut plus prostitué à des pontifes d'une vie scandaleuse; les souverains furent à l'abri des excommunications; les églises lurent moins exposées aux interdits; les peuples ne furent plus relevés de leur serment; et les indulgences passèrent de mode. Il résulta encore un avantage de la réforme : c'est que les théologiens de tant de sectes, obligés de combattre de la plume, étaient forcés de s'instruire; le besoin de savoir les rendit savants. On vit renaître l'éloquence de la Grèce et de l'ancienne Rome; mais il est vrai qu'on ne l'employa qu'à des disputes absurdes de théo-