45. AU CONSEILLER PRIVÉ D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Berlin, 6 août 1740.

J'aurais fort souhaité que la cour de Russie eût voulu s'ouvrir la première sur les engagements où elle souhaite d'entrer avec moi, à l'occasion du renouvellement des alliances qu'elle paraît désirer. Il était même naturel qu'elle m'en fit les premières propositions, puisque c'est elle qui s'est départie la première de l'ancien système qu'elle avait établi avec le feu Roi mon père par rapport aux affaires de Pologne. Mais voyant, par le récit de l'entretien que vous avez eu à ce sujet avec le ducde Courlande, qu'il y a peu d'espérance d'y porter les ministres de l'Impératrice, et étant d'ailleurs sincèrement intentionné de renouveler les liaisons qui ont subsisté ci-devant entre ma couronne et celle de Russie, et de les resserrer par de nouveaux nœuds, j'ai passé par dessus ces formalités pour presser d'autant plus la conclusion d'un ouvrage aussi salutaire, en vous chargeant par celle-ci d'en faire les premières avances, conformément au conseil que le duc de Courlande m'endonne, espérant que par le crédit supérieur qu'il a auprès de l'Impératrice, il fera en sorte que je n'aie pas lieu de me repentir de cette démarche.

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Je vous envoie donc ci-joint le projet du traité d'alliance et de trois articles séparés, que vous offrirez tant au duc de Courlande qu'au comte d'Ostermann, en faisant tous vos efforts, pour les leur faire agréer simplement de la manière qu'ils sont couchés.

Quant au traité principal, de même qu'à l'égard des articles séparés qui regardent les affaires de Pologne, j'espère qu'ils ne trouveront pas beaucoup de difficulté, le contenu des uns et des autres étant entièrement conforme à ce qui est disposé sur ce sujet dans les alliances que le feu Roi mon père a faites avec la Russie.

Mais je doute que la cour de Pétersbourg donne si facilement les mains à l'engagement que je lui demande par le premier article secret, pour me garantir la succession de Juliers et de Bergue. Cependant, comme c'est le principal et presque l'unique objet qui me détermine à conclure cette alliance, je me promets de votre dextérité que les représentations que vous ferez sur ce sujetaux ministres de Russie ne seront pas infructueuses, et je ne désespère pas que vous ne leur fassiez accepter simplement l'article en question, sans m'engager réciproquement à des garanties onéreuses. C'est à quoi vous travaillerez d'abord avec toute l'application imaginable, en remontrant aux ministres russiens que c'est-là l'unique avantage que je puis tirer pour le présent de cette alliance, qui d'ailleurs ne pourra que déplaire infiniment àla France et à la Suède, et me faire regarder de mauvais œil par ces deux puissances; de sorte que mon alliance étant à certains égards d'une plus grande importance à Sa Majesté l'Impératrice que ne m'était la sienne dans la conjoncture présente, j'espére que, pour rendre les choses plus égales, elle ne me refuserait pas le seul bien qui pourrait m'en revenir: considération que vous ne manquerez pas d'appuyer par d'autres réflexions, que vous suggérera la connaissance que vousavez de la situation des affaires de là-bas, et de la disposition où se trouvent les principaux seigneurs de la cour.

Cependant, si toutes ces remontrances et tentatives sont inutiles, et que vous voyiez clairement qu'il est absolument impossible de faire agréer sur ce pied-là aux ministres de Russie l'article en question, jevous permets d'offrir de ma part réciproquement au duc de Courlande la garantie de ce duché, pour lui et pour sa famille. Vous ne lui proposerez pourtant la chose d'abord qu'en secret, et avec toute la circonspection requise, afin qu'il ne puisse en faire un mauvais usage, en cas qu'il ait déjà pris sur ce sujet des liaisons opposées à mes intérêts. Mais si vous remarquez qu'il en goûte la proposition, et qu'il pourrait en faveur decette garantie me faire obtenir celle de l'Impératrice pour la succession de Juliers et de Bergue, vous n'oublierez rien pour l'affermir dans ces bons sentiments, et vous lui ferez sentir que c'est là le moyen le plus efficace, et pour ainsi dire l'unique, de transmettre sûrement à ses héritiers l'acquisition qu'il a faite du duché de Courlande. En un mot, vous employerez, pour parvenir au but que je me propose, <31>tous les arguments que la nature de la chose vous fournira et que, connaissant comme vous faites la situation des affaires du Duc, il serait superflu de vous suggérer.

Je juge pourtant nécessaire de vous avertir derechef d'aller par degré et de ménager le terrain, autant qu'il est possible, pour m'épargner, si faire se peut, une garantie dont je serais bien aise de n'être pas chargé. Je me promets, au reste, que vous conduirez cette négociation avec toute la prudence et tout le ménagementrequis, et que d'un côté vous ne négligerez aucun moyen dont vous puissiez vous aviser, pour la faire réussir, et que de l'autre vous ne ferez non plus aucune démarche dont l'Impératrice et ses ministres aient lieu de s'offenser.

Vous ne manquerez point de m'informer exactement du progrès que vous ferez dans cette négociation, et de me demander incessamment de nouveaux ordres, en cas que vous y rencontriez quelque difficulté imprévue: sur quoi j'aurai soin de vous faire savoir sans délai mes intentions.

Enfin, je compte entièrement sur votre zèle et fidélité, et que vous n'épargnerez rien pour faire réussir l'affaire en question: et comme je connais parfaitement l'importance du service que vous me rendrez dans cette affaire-là, je saurai y proportionner la récompense.

Federic.

H. de Podewils.

Nach dem Concept.