183. AU ROI DE LA GRANDE-BRETAGNE A LONDRES.

Berlin, 4 décembre 1740.

Monsieur mon Frère. La grande confiance que j'ai dans l'amitié de Votre Majesté, et nos intérêts communs dans les conjonctures critiques d'à présent, m'obligent à Lui communiquer sans réserve mes sentiments sur les mesures à prendre dans la situation épineuse des affaires où l'Europe se trouve maintenant, et à Lui faire part en même temps de la démarche à laquelle j'ai été obligé de recourir, pour remédier promptement au danger dont l'Europe entière, la liberté de l'Allemagne, et le système de l'Empire sont menacés également.

La maison d'Autriche, en butte à tous ses ennemis, depuis la perte de son chef et le délabrement total de ses affaires, est sur le point de <122>succomber sous les efforts de ceux qui font ouvertement des prétentions sur la succession, ou qui méditent en secret d'en arracher une partie; et comme par la situation de mes États je me trouve le plus intéressé à en empêcher les suites et à prévenir surtout ceux qui pourraient avoir formé le dessein de s'emparer de la Silésie, qui fait la sûreté et la barrière de mes provinces limitrophes, je n'ai pu me dispenser de faire entrer mes troupes dans ce duché, pour empêcher que d'autres, dans les conjonctures présentes, ne s'en emparent à mon grand préjudice et à celui des droits incontestables que ma maison a eus de tout temps sur la plus grande partie de ce pays-là, comme je ne manquerai pas de le manifester en temps et lieu.

Mon intention en cela n'a d'autre but que la conservation et le véritable bien de la maison d'Autriche.

Je me suis même expliqué sur cela par mon ministre à la cour de Vienne d'une manière que, si elle entend ses véritables intérêts, elle ne balancera pas un moment à y donner les mains.

Pour cet effet-là, je suis prêt d'entrer avec Votre Majesté, la cour de Vienne, la Russie, et les États-Généraux, dans toutes les mesures qu'on pourra trouver convenables, et dans une alliance des plus étroites, pour maintenir l'équilibre de l'Europe, conserver le système de l'Empire, garantir les États de la maison d'Autriche en Allemagne contre qui-conque voudra les envahir, et faire tomber l'élection d'un empereur sur la tête du duc de Lorraine, pour rétablir l'ancien système.

Mais comme j'ai des avis certains, à n'en pouvoir douter, que la cour de Vienne, conseillée par des gens qui jusqu'ici se sont portés à toutes les extrémités les plus fâcheuses, est prête à se jeter entre les bras de la France, pour renverser ce qui pourrait rester encore d'espérance de sauver l'Empire et la liberté de l'Europe, j'ai cru qu'il ne fallait point perdre le temps en négociations inutiles, mais se servir des moyens les plus efficaces pour déterminer l'irrésolution de cette cour, et pour l'obliger bon gré mal gré de prendre un parti convenable au bien de l'Europe, au sien propre et aux intérêts de la religion protestante, aussi bien qu'à ceux de Votre Majesté et de la république de Hollande.

Ce parti ne saurait être, selon moi, que celui que je viens d'indiquer ci-dessus à Votre Majesté, et pour y parvenir plus facilement, j'ai pressé les États-Généraux de se mettre, le plus tôt qu'il se pourra, en bonne position de défense, par une augmentation considérable de leurs forces de mer et de terre.

Moyennant quoi et les liaisons étroites entre Votre Majesté, moi, la cour de Vienne, celle de Russie, et la République, dans lesquelles il serait bon aussi de faire entrer le roi de Danemark, nous pourrions, à ce qu'il me semble, nous mettre à l'abri de toute insulte, et maintenir la paix et l'équilibre de l'Europe.

Mais comme les plus grands efforts, surtout pour ce qui regarde l'Allemagne et la maison d'Autriche, tomberont sur moi, je me persuade <123>de l'équité de Votre Majesté qu'Elle trouvera juste et raisonnable que j'en sois dédommagé par un équivalent convenable et proportionné aux dépenses que je ferai, au risque que je cours, et aux services que je rends par là à la cause commune et surtout à la maison d'Autriche, qui, trop heureuse d'en être quitte par le sacrifice de la Silésie, sauvera par là tout le reste de ses États et pourra attendre tout de moi et de mon assistance.

Votre Majesté, selon Sa grande prudence, jugera bien Elle-même combien il sera nécessaire de porter la cour de Vienne à se déterminer, le plus vite qu'il est possible, sur le parti qu'elle voudra prendre, pour que je puisse me concerter là-dessus avec Votre Majesté et la République, dont les intérêts combinés me seront toujours aussi chers que les miens propres, et dont je ne me séparerai jamais, si l'on veut entrer dans le plan que j'ai eu l'honneur de proposer à Votre Majesté.

Pour ce qui est de la succession de Juliers et de Bergue, j'entrerai dans tous les tempéraments qu'on pourra juger convenables aux intérêts de la république de Hollande, et même à ceux de la maison d'Autriche.

Comme tout cela demande un secret absolu, je me flatte de l'amitié de Votre Majesté qu'Elle ne souffrira point qu'on fasse un mauvais usage de la manière cordiale et pleine de confiance avec laquelle je viens de m'expliquer avec Elle sur un sujet de cette importance.

Je supplie Votre Majesté d'être entièrement persuadée de l'amitié sincère et de l'attachement inviolable avec lequel je ne cesserai jamais d'être etc.

Federic.

J'aurais écrit de main propre à Votre Majesté, si je n'avais été chargé d'affaires. L'expédition que je vais entreprendre est vive, mais c'est le seul moyen de sauver l'Allemagne, prête à périr par les nouveaux engagements que la cour de Vienne est prête à prendre avec la France. J'espère que Votre Majesté me donnera dans cette occasion des marques de Son amitié, dont Elle m'a fait tant d'assurances, et que l'union parfaite des deux maisons se prêtera en tout les mains pour leurs communs intérêts.

Nach dem Concept. Der Zusatz nach Abschrift der Ministerialkanzlei.