191. AU CONSEILLER PRIVÉ DES FINANCES DE BORCKE A VIENNE.

Berlin, 7 décembre 1740.

Votre dépêche du 29 du mois passé m'a été fidèlement remise, et j'ai vu ce que vous me dites sur le contenu des ordres secrets que je vous ai donnés le 15 du mois passé.

Mais je vous avoue que je m'étais attendu à une réponse bien plus détaillée de votre part, sur une affaire de cette importance, que celle que vous venez de me faire fort en racourci.

Vous dites, entre autres, que si je ne suspends pas l'entreprise que je médite, jusqu'à ce que la Bavière ait commencé son attaque, toutes les troupes de Moravie se jetteront en Silésie pour la défendre tant qu'elles pourront.

Mais vous auriez dû ajouter au moins combien de troupes la cour de Vienne a donc dans ces cantons-là pour pouvoir les jeter dans la Silésie, sans dégarnir ses frontières contre la Bavière, et vous paraissez vous contredire vous-même, quand dans l'une de vos dernières relations vous assurez qu'on a à peine assez de troupes pour s'opposer aux Bavarois, et que vous soutenez à présent qu'on pourrait jeter en Silésie toutes les troupes qu'on a en Moravie, tout comme si l'électeur de Bavière n'existait plus, ou qu'il n'eût témoigné jamais la moindre mauvaise volonté.

Ainsi, quand d'un côté vous m'avez dépeint la cour de Vienne dans un si grand abattement de forces, et dénuée de tout, pour pouvoir à peine résister dans le centre de ses États contre les moindres entreprises, vous la croyez tout d'un coup assez formidable pour commencer d'abord par chasser le ministre d'une puissance, chargé de lui faire des propositions et d'entrer dans des éclaircissements des motifs qui obligent à des certaines démarches.

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Vous conviendrez aisément que c'est tout ce que la maison d'Autriche pourrait faire dans sa plus haute prospérité que de refuser d'écouter au moins ce qu'en pleine guerre on veut bien entendre et recevoir d'un héraut, et même d'un trompette ou d'un tambour. Ainsi, il me semble que vous avez tort de croire qu'on y irait avec tant de précipitation que de vous chasser, sans vouloir vous laisser le temps de vous expliquer sur les ordres que vous avez.

On pourrait se repentir furieusement d'une démarche si précipitée, et qui me mettrait dans la dure nécessité de les traiter à mon tour en ennemis, et de m'associer à tous ceux qui m'invitent sans cesse de faire cause commune avec eux, pour tomber sur le corps à la maison d'Autriche.

Mais pour vous rassurer et pour remédier à cet inconvénient, si tant il y a qu'il est effectivement à craindre, je veux bien que, dès que vous aurez reçu celle-ci, vous preniez sans perte de temps audience du duc de Lorraine, pour l'informer exactement du contenu des ordres dont je vous ai chargé par ma susdite dépêche du 15 du mois passé. Et comme mes troupes n'entreront guère en Silésie avant le 17 ou le 18 de ce mois au plus tôt, vous recevrez celle-ci assez à temps pour pouvoir faire usage de vos instructions, avant qu'on ait à Vienne la nouvelle que j'aie franchi le pas.

Mais si dans la suite, contre toutes apparences raisonnables, on voulait se laisser aller à l'extrémité de vous défendre la cour, vous resterez en ville jusqu'à nouvel ordre, en continuant à me mander tout ce que l'on fait, et si l'on passe outre et qu'on veuille vous obliger de sortir de Vienne et des États de la cour où vous êtes, vous viendrez me trouver en Silésie, pour me rendre un rapport juste et exact de la véritable situation des affaires de là-bas.

Mais avant que de le faire, vous devez tâcher de faire encore un dernier effort pour parler au duc de Lorraine ou à son secrétaire, le sieur Toussaint, et même au chancelier, comte de Sinzendorff, pour leur faire comprendre les suites que pourrait avoir une pareille conduite, et à quoi on doit naturellement s'attendre, si l'on me pousse à bout dans les conjonctures présentes.

J'espère que vous vous donnerez toutes les peines et tous les soins imaginables pour mettre dans mes intérêts le grand-chancelier de la cour, comte de Sinzendorff, et le secrétaire d'État du grand-duc de Toscane, le sieur Toussaint. Et comme rien n'est à l'épreuve auprès des gens accoutumés de longue main à prendre de bonnes aubaines,130-1 je me flatte que vous n'épargnerez aucun de tous les ressorts qu'il soit possible de faire jouer pour les gagner, et vous leur pouvez offrir, vous-même ou par d'autres, avec lesquels vous ne risquez rien, jusqu'à deux <131>cent mille écus pour le comte de Sinzendorff, et cent mille au secrétaire Toussaint, s'ils veulent se charger de porter la cour de Vienne à accepter le plan que je lui propose, et me faire avoir la Silésie.

Vous me manderez au plus vite et de la manière la plus détaillée tout ce que l'on vous aura répondu sur vos propositions, les mesures qu'on prend et les efforts qu'on est en état de faire.

Au reste, vous n'avez que faire d'être embarrassé de vos dettes; je les payerai toutes, pourvu que vous preniez de bons biais pour faire réussir l'affaire en question.

Federic.

H. de Podewils.

Nach dem von dem Könige eigenhändig corrigirten Concept.



130-1 Vergl. Arneth I, 65: „Sogar für die damalige Zeit war der Grad, in welchem Sinzendorff sich käuflich zeigte, ein ganz ungewöhnlicher.“