192. INSTRUCTION POUR LE COMTE DE GOTTER, GRAND-MARÉCHAL DE LA COUR, ALLANT A LA COUR DE VIENNE EN QUALITÉ DE MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE.

Berlin, 8 décembre 1740.

1° Le comte de Gotter partira incessamment d'ici pour Vienne, dès qu'il aura reçu celle-ci avec les lettres de créance ci-jointes pour la reine de Hongrie et de Bohême et pour le grand-duc de Toscane, dans lesquelles il est qualifié de ministre plénipotentiaire.

2° La copie ci-jointe sub Lit. A. des amples instructions que le Roi a données à son ministre à Vienne, le sieur de Borcke, en date du 15 du mois passé, et celles cotées sub Lit. B., qui ont été envoyées à ce ministre le 7 de ce mois, mettront le comte de Gotter entièrement au fait des propositions dont le sieur de Borcke a été chargé auprès de la cour de Vienne. Et comme

3° Sa Majesté, par une confiance entière qu'elle a dans la capacité, la droiture et le savoir-faire du comte de Gotter, aussi bien que dans son crédit, ses connaissances, et ses lumières, pour tout ce qui regarde la cour de Vienne, l'a choisi pour appuyer la négociation importante dont le ministre ordinaire du Roi est déjà chargé, et dont probablement il aura déjà fait ouverture, selon ses dernières ordres du 7 de ce mois, avant l'arrivée du comte de Gotter, au duc de Lorraine et au ministère de la cour de Vienne, si ce prince le trouve à propos,

4° En attendant, dès que le comte de Gotter sera arrivé à Vienne, il descendra chez l'envoyé de Borcke et s'informera soigneusement de la situation dans laquelle se trouve la négociation en question. Cela étant fait, il se fera annoncer par le sieur de Borcke auprès du duc de Lorraine, avant que de prendre son audience de la reine de Hongrie. Il remettra d'abord à ce prince la lettre de créance dont il est chargé pour lui, et lui dira de bouche que je l'ai choisi pour assurer ce prince de ma plus parfaite estime et considération, et que je suis disposé de tout faire pour lui et pour la Reine son épouse, s'il veut la porter <132>à se prêter au plan que j'ai fait proposer par l'envoyé de Borcke; que mes intentions sont bonnes et sincères, qu'elles tendent à sauver la maison d'Autriche de la ruine totale dont elle était menacée, à écarter tous les rivaux qui paraissent aspirer à la couronne impériale, et à la faire tomber en partage au duc de Lorraine, en lui garantissant en même temps la possession tranquille de tous les États de la Reine son épouse en Allemagne. Mais, comme cela ne se peut faire sans que je m'expose, moi, mes États et mes forces, à de très grands hasards, et à des risques qui me pourraient coûter cher, surtout la France paraissant déterminée de favoriser non seulement les prétentions de la maison de Bavière sur la succession de feu l'Empereur, quelque grimace qu'elle fasse à présent de ses idées pacifiques, mais que cette couronne s'est ouverte assez confidemment envers moi déjà de vouloir aider de toutes ses forces et de tout son crédit à faire élire l'électeur de Bavière empereur; qu'elle se fait fort d'intimider tellement les électeurs de Mayence et de Trèves qu'ils seraient obligés de donner aussi leurs voix à l'électeur de Bavière; que d'un autre côté la Saxe témoigne aussi secrètement avoir envie d'en vouloir non seulement à la dignité impériale, mais même à la Bohême; qu'on m'a déjà fait sonder là-dessus, et qu'il ne tient qu'à moi d'entrer dans un plan qui ne va pas à moins qu'à dépouiller la maison d'Autriche de ses plus belles provinces en Allemagne et de la frustrer pour jamais de la dignité impériale

Que je suis prêt d'employer toutes mes forces et tout mon crédit pour faire avoir la dernière au duc de Lorraine, et garantir les États de la maison d'Autriche en Allemagne contra quoscunque; mais qu'il me faut une récompense proportionnée pour le grand service que je rendrais par là à la cour de Vienne et surtout au duc de Lorraine; que je courrais grand risque de m'attirer par là tellement la colère de la France que cela me coûterait la succession de Juliers et de Bergue, dont sans cela, par l'assistance de cette couronne, je suis en quelque façon assuré;

Qu'il serait impardonable à moi de hasarder une si belle succession pour l'amour d'autrui, sans savoir comment et où m'en dédommager;

Que cela ne saurait être que par la Silésie, sur la plus grande partie de laquelle ma maison a eu de tout temps des prétentions bien fondées, ainsi que je le ferai voir par des déductions qui paraîtront bientôt; que les Rois mes prédécesseurs n'ont pu renoncer au préjudice de leur postérité à des droits si bien acquis, les lois fondamentales de ma maison défendant à l'infini toute aliénation de pareils droits;

Que défunt l'Empereur avait par un traité garanti Bergue ou un équivalent; que j'avais rempli mon traité mais qu'ils m'ont été contraires, et qu'ainsi en entrant en Silésie, ce me peut être comme <133>un équivalent. NB. il faut donner copie de ce traité et en même temps de ce qui regarde la Pragmatique à Gotter.133-1

Que dans les conjonctures présentes j'ai été obligé de commencer par me saisir d'un pays sur lequel j'ai de si justes prétentions, de crainte qu'un autre ne s'en emparât.

Mais ques si la reine de Hongrie peut se résoudre de m'en faire la cession, je remplira fidèlement tous les engagements et conditions que j'ai fait proposer par le sieur de Borcke. Que c'est maintenant au duc de Lorraine à s'examiner si l'on trouverait mieux son compte à s'accomoder là-dessus de bonne grâce avec moi, en s'attachant un ami et allié en état et à portée, comme je le suis Dieu merci, de faire tout pour eux, de les sauver et de leur procurer, avec la possession tranquille du reste de leurs Etats, la couronne impériale.

Mais que, si l'on prend malheureusement un autre parti, je me verrais réduit à la dure nécessité de faire valoir mes droits sur la Silésie malgré eux, et de profiter des offres considérables que l'on me fait d'un autre côté, en poussant ma pointe contre eux de toutes mes forces, aussi bien que je pourrais.

Que je laisse à examiner au duc de Lorraine si cela ne pourrait pas entraîner le démembrement et la ruine totale de toute la succession de la maison d'Autriche, au lieu qu'on la préviendrait à coup sûr, en parvenant même au comble de ses vœux, par le sacrifice de la Silésie.

Mais que le temps presse, et qu'il faut se déclarer incessamment, pour que je puisse savoir où j'en suis.

5° Vous pouvez dire au duc de Lorraine que vous vous laisseriez entièrement guider par ses conseils, et qu'il dépendrait de lui de vous indiquer les ministres auxquels vous devriez vous adresser pour cela, mais que je n'ai aucune confiance dans le baron de Bartenstein, qui de tout temps s'était montré ennemi de ma maison.

6° Dès que vous vous serez ouvert de cette façon au duc de Lorraine, il faudra demander audience à la reine de Hongrie, lui présenter vos lettres de créance et vous renfermer dans des compliments généraux sur son avénement à la couronne, en vous rapportant pour le reste à tout ce que vous aviez dit et proposé de ma part au Duc son époux. Mais, si ce prince devrait trouver à propos que vous fissiez à la Reine les mêmes ouvertures que vous lui ferez, il faut s'y conformer, et y ajouter toutes les protestations d'amitié imaginables de ma part.

7° Le comte de Gotter reçoit ci-joint un plein-pouvoir pour entrer en négociation et conférence avec ceux qui pourraient être autorisés pour cela de la reine de Hongrie, mais il ne donnera absolument rien par écrit ni conclura rien, avant que de m'en avoir averti, et après en avoir reçu mes ordres ultérieurs.

<134>

8° Si par des libéralités on peut mettre dans mes intérêts le ministère de Vienne, il verra par les ordres que j'ai donnés au sieur de Borcke en date du 7 de ce mois que je l'ai autorisé d'offrir jusqu'à 200,000 écus au grand-chancelier, comte de Sinzendorff, et 100,000 écus au secrétaire d'État du duc de Lorraine, le sieur Toussaint, et s'il en fallait encore gagner d'autres, le comte de Gotter n'a qu'à me le mander et attendre mes ordres là-dessus.

9° On lui parlera sans doute de la garantie que feu mon père a donnée, par le traité secret de 1728 et sa voix à la diète de l'Empire, de la Sanction Pragmatique. Mais il y répondra qu'on a fort mauvaise grâce de réclamer l'exécution des engagements d'un traité, et de ce qui en a été la suite,134-1 qu'on a violé de la plus mauvaise foi du monde de la part de la cour de Vienne. Qu'on doit se souvenir que par ce traité on avait promis à feu mon père la garantie de la succession du duché de Bergue, et que l'on a fait, il y a deux ans, d'une manière diamétralement opposée à la lettre de cet engagement solennel, une convention secrète avec la France, par laquelle on garantissait la possession provisionnelle de Juliers et de Bergue au prince de Sulzbach; que si l'on me poussait à bout, j'exposerais aux yeux de tout l'univers combien on a abusé indignement de la confiance de feu mon père, et de quelle ingratitude on a payé toute ma maison depuis 1679 et la paix de Nimègue jusqu'ici. Mais qu'il faut tirer un rideau sur le passé, et qu'il ne tient qu'à la cour de Vienne de m'avoir désormais pour son appui le plus ferme et le plus solide.

Si contre toute attente on refusait d'admettre le comte de Gotter à l'audience de la Reine, il doit faire tout au monde pour parler au moins au duc de Lorraine, et j'espère qu'on ne lui refusera pas une chose qu'on accorde en pleine guerre à un trompette ou à un simple porteur de lettres.

11° Le comte de Gotter se servira du chiffre du sieur de Borcke pour les choses secrètes, et il m'enverra des courriers et des estaffettes, toutes les fois qu'il le jugera nécessaire.

Au reste, en me référant aux instructions que je pourrais donner encore immédiatement soit de bouche ou par écrit au comte de Gotter, je me repose entièrement sur la droiture et sur le zèle qu'il a témoignés jusqu'ici pour mon service, et dont je me tiens assuré surtout pour l'importante négociation que je lui confie maintenant, et dont le succès lui servira d'un mérite auprès de moi que je ne manquerai pas de récompenser d'une manière proportionnée au grand service qu'il me rendra dans cette occasion.

Federic.

H. de Podewils.

Nach dem Concept.

<135>

133-1 Der ganze Absatz ist von der Hand des Königs in den Entwurf eingefügt. Vergl. Preussische Staatsschriften I, 53.

134-1 Vergl. Preussische Staatsschriften I, 50, Anm. 1.