203. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Berlin, 13 décembre 1740.

Vous verrez par la déclaration ci-jointe,143-1 que j'ai fait faire aux ministres étrangers qui sont ici, et que vous pouvez communiquer au ministère de la cour où vous êtes, les motifs en gros qui m'ont déterminé de faire entrer mes troupes en Silésie; vous y ajouterez de bouche à M. le Cardinal et au sieur Amelot en détail ce qui suit.

Dans la fermentation présente des affaires, depuis la mort de l'Empereur, mes soins sont allés constamment à conserver le repos dé l'Allemagne, le système de l'Empire, et le véritable bien du Corps Germanique.

Personne ne saurait être plus intéressé que je le suis à des vues si conformes à la tranquillité publique.

La situation de mes États et le rang que je tiens dans l'Empire m'en doivent rendre les intérêts plus chers qu'à qui que ce soit. Mais voyant l'orage qui menace les pays héréditaires de la maison d'Autriche, par les prétentions que différents princes font ouvertement ou en secret sur la succession de feu l'Empereur, et la Silésie se trouvant plus exposée et plus dégarnie que tout le reste, ma propre sûreté et 1a prudence ont exigé indispensablement de moi de ne point souffrir qu'on s'établît dans une province limitrophe de mes États comme la Silésie, sur laquelle, par des anciens pactes de famille entre mes ancêtres et les princes de Silésie, que je ne manquerai pas de produire en son temps, ma maison a eu des droits incontestables.

Je n'ai donc fait, par cette démarche, que prévenir les autres, dont les arrangements et mesures ne se bornent pas à armer puisamment sur les frontières, mais qui attendent aussi un corps auxiliaire de douze mille hommes de troupes étrangères, pour lesquelles les quartiers sont <144>déjà assignés,144-1 afin de s'en servir dans l'exécution de leurs projets, dont la saisie de la Silésie aurait été un des premiers et des plus préjudiciables pour moi et pour mes droits.

Ainsi, je me flatte de l'amitié de Sa Majesté Très Chrétienne et de l'équité de M. le Cardinal qu'ils ne désapprouveront point une démarche, hardie et prompte à la vérité, mais dont l'exécution ne souffrait point de délai, étant devenue nécessaire et indispensable pour ma propre sûreté et celle de mes États.

Mon intention n'est point d'envahir la succession de la maison d'Autriche, et encore moins de troubler la tranquillité de l'Europe et le repos du Corps Germanique.

Mais j'espère que l'on fera attention à mes droits, et qu'on ne trouvera pas injuste, si je me suis pressé à prévenir un troisième dans la possession de ce qui m'appartient préférablement à tout autre.

Vous pouvez en même temps insinuer adroitement à M. le Cardinal que, la France ne perdant rien dans cette affaire, qui peut plutôt convenir à ses véritables intêréts, dans les conjonctures présentes, mieux que quoi que ce puisse être, j'ai tout lieu d'espérer de l'affection de Sa Majesté Très Chrétienne pour moi et pour ma maison, aussi bien que des marques que M. le Cardinal m'a voulu donner, jusqu'ici, de son amitié, qu'on ne voudra point me contrarier dans la poursuite de mes prétentions légitimes. Je me flatte même que la cour de Vienne se rendra flexible et traitable là-dessus, et qu'elle ne se plaindra point d'une démarche à laquelle j'ai été forcé, et qui, au bout de compte, ne lui fait pas plus de mal que ce qu'un autre à ma place était prêt de faire sans avoir les mêmes droits de son côté que j'en ai.

Vous vous servirez de toutes les protestations les plus flatteuses de mon attachement pour le roi de France, et pour le Cardinal ministre, afin d'empêcher qu'on ne se précipite à prendre des résolutions désavantageuses à mon égard, et à vouloir me susciter des embarras, ou même à agir ouvertement contre moi en faveur de la maison d'Autriche, ce qui serait diametralement contraire à la politique et aux véritables intérêts de la France, sur quoi il faut appuyer, autant que vous le trouverez nécessaire, et avoir, en attendant, l'œil au guet sur le parti que la France pourrait prendre contre moi, et les mesures qu'elle voudra concerter avec d'autres puissances pour me barrer ou pour me faire des diversions. Quoique j'aie de la peine à m'imaginer qu'on veuille renoncer en France au vieux système, et laisser perdre une si belle occasion pour affaiblir une maison qui a été, depuis tant de siècles, la rivale la plus formidable de celle de Bourbon. Vous ne manquerez pas de glisser toutes ces réflexions dans les entretiens que vous aurez là-dessus avec le Cardinal, en tâchant de pénétrer comment il pense sur <145>ce sujet, et ce que je pourrais avoir, en tout cas, à espérer ou à craindre de la France dans l'affaire que j'ai entamée.

J'attends, comme vous pouvez croire, avec beaucoup d'impatience votre rapport fidèle et circonstancié là-dessus.

P.S.

En cas que le Cardinal vous dût parler des engagements qui obligent la France de garantir la Sanction Pragmatique, vous devez lui répondre que, comme le Roi Très Chrétien a déclaré, en différentes occasions, et surtout à l'égard des prétentions de la maison de Bavière sur la succession de feu l'Empereur, que la France avait promis cette garantie sauf les droits d'autrui145-1, j'espère qu'elle l'entendra sur le même pied par rapport à mes droits sur la Silésie, et que ce qui est juste pour l'électeur de Bavière, le sera aussi pour moi, ce que je me promets, indubitablement, de l'amitié de Sa Majesté Très Chrétienne et de l'équité de M. le Cardinal, de sorte que, si la cour de Vienne devait réclamer la garantie de la France dans le cas dont il s'agit présentement, elle aurait toujours une raison suffisante pour s'en défendre, et elle ne saurait se dispenser d'avoir égard à mes droits sur la Silésie, puisqu'elle n'a promis sa garantie que sous la restriction qu'elle ne doit pas déroger aux droits d'autrui; ce que vous ne manquerez pas de faire valoir.145-2

Federic.

H. de Podewils.

Nach dem Concept.



143-1 Vergl. Preussische Staatsschriften I, 61.

144-1 Einem Gerücht zu Folge sollten 12,000 Russen auf dem Marsch nach Sachsen sein.

145-1 Am 29. Oct. sagt Fleury zu Camas: „Nous y avons accédé mais avec cette clause: sauf le droit d'autrui.“

145-2 Ein Brief an Valory vom 13. Dec. verweist ganz allgemein auf das, was Chambrier in Paris eröffnen werde. Mémoires de Valory II, 225.