365. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.237-1

Breslau, 6 mai 1741.

J'ai reçu votre dépêche du 21 du mois passé, et j'espère que le maréchal de Belle-Isle aura rendu à sa cour un compte fidèle et exact de mes sentiments pour Sa Majesté Très Chrétienne et de mon attachement zélé pour ses intérêts, aussi bien que des motifs qui m'ont empêché jusqu'ici, à mon grand regret, de mettre la dernière main au traité qui était sur le tapis entre moi et le Roi son maître.

J'ai communiqué audit maréchal la relation que je venais justement de recevoir de mon ministre à Pétersbourg237-2 dans le temps qu'il était auprès de moi au camp, et par laquelle il a vu lui-même l'orage qui est prêt à fondre sur moi, si je refuse d'accepter un accommodement avec la maison d'Autriche, et leconcert dans lequel les cours de Russie, d'Angleterre et de Saxe sont entrées pour me tomber de tous côtés sur le corps, dès que je ne voudrais point accepter la médiation de ces puissances et me contenter de certains avantages modiques qu'on veut m'offrir. En vertu de ce concert, la Russie assemble actuellement son contingent auxiliaire de 30,000 hommes en Livonie, pour s'emparer de mon royaume de Prusse, qui aurait été riflé dans quatre semaines, puisqu'il est tout-à-fait dégarni de troupes, n'ayant, outre les deux petites forteresses de Pillau et de Memel, aucune place tenable dans le pays.

D'un autre côté, la Saxe forme un camp de 20,000 hommes sur les frontières de mes États, la cour d'Hanovre est sur lepoint d'en faire autant, et de le renforcer même de 6,000 Danois et autant de troupes de Hesse à la solde de la Grande-Bretagne, sans compter qu'on croit être sûr que le roi de Danemark agira encore avec plus de troupes contre moi.

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Tout cela ensemble est prêt d'envahir et d'entamer mes États, et je puis être écrasé en Prusse et dans le cœur de mes provinces d'Allemagne, avant que la France soit assez à portée pour me secourir et pour me sauver, et avant que la Suède soit en état de faire une puissantediversion en ma faveur; puisque, dans le temps que la Russie m'aurait attaqué, elle avait fait des dispositions pour faire agir une armée de 40,000 hommes contre la Suède, tandis que l'Angleterre s'est engagée d'envoyer une flotte dans la mer Baltique et d'y embarquer même des troupes pour le secours de la Russie, et qu'on est actuellement en négociation avec le Danemark pour le porter à faire une diversion en Scanie, en cas que la Suède rompeavec la Russie.

Voilà le tableau fidèle de ma situation et des embarras où je me trouve, tel que je l'ai expliqué au maréchal de Belle-Isle. La signature de mon traité avec la France n'aurait fait que hâter l'exécution du susdit concert, qui reste suspendu en quelque façon, tant qu'ona l'espérance de me réduire à un accommodement, mais qu'on précipiterait dès qu'on me croirait lié avec la France.

Je laisse à juger aux grandes lumières du cardinal de Fleury et au sieur Amelot si dans les circonstances embarrassantes et dangereuses où je me trouve, je puis faire autrement que céder pour un temps au torrent qui menace de m'accabler, quoique, jusqu'ici, il n'y ait rien d'arrêté encore entre moi et la cour de Vienne, et que j'aie encore les mains entièrement libres, ce dont vous pouvez assurer le Cardinal sur ma parole, et lui insinuer en même temps que, ces conjontures fâcheuses venant à changer, je pourrais fort bien encore revenir à notre grand ouvrage, ce que je ferais de cœur et d'âme, dès que je le pourrais sans courir le risque d'unbouleversement général dans mes affaires.

Mais qu'on se mette à ma place et qu'on entre dans ma situation un moment, et on verra que, si jamais un prince a été obligé d'aller bride en main, c'est moi, si je ne veux jouer le tout pour le tout. Aureste, vous donnerez au Cardinal les plus fortes assurances de mon amitié et de mon attachement pour le Roi son maître, et vous ferez tous les efforts imaginables pour calmer son esprit, guérir ses soupçons, et l'empêcher, autant qu'il est humainement possible, qu'il ne prenne un parti qui pourrait être contraire à mes intérêts dans les conjonctures présentes.

Vous direz aussi à ce ministre que j'ai été charmé et content, au delà de l'imagination, du maréchal de Belle-Isle, dont le caractère, l'esprit et le mérite distingué lui ont tellement attaché mon amitié que j'aurais fort souhaité de conserver ce grand homme plus longtemps chez moi.

Je me figure, au reste, que vous aurez de rudes assaults et des reproches amères à essuyer de la part du ministère de France, de ce que j'ai balancé à signer le traité en question, mais je me flatte que votre savoir-faire et votre zèle pour mes intérêts sauront adoucir tellement <239>les esprits qu'on ne me voudra point du mal de la triste et malheureuse nécessité qui arrête toute ma bonne volonté et mon inclination de me lier aussi étroitement que je l'aurais souhaité avec la France.

Vous leur insinuerezque tout n'est pas rompu encore, et que, le marquis de Valory ayant ses pleins-pouvoirs, on pourrait toujours reprendre la négociation, dès que l'orage se dissipera tant soit peu, et que la Russie serait entamée vigoureusement par la Suède, et la maison d'Autriche par l'Espagne, la Sardaigne et le roi des Deux-Siciles.

Federic.

H. de Podewils.

Nach dem Concept.



237-1 Vergl. die Berichte Belle-Isle's an Amelot, 27., 30. April, 1. Mai bei Ranke XXVII. XXVIII, 578 ff.

237-2 D. d. 10. April, nach der Entlassung Münnichs.