454. PRÉCIS DES PROPOSITIONS DU SIEUR ROBINSON, MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE DU ROI DE LA GRANDE-BRETAGNE A LA COUR DE VIENNE, FAITES AU ROI DANS l'AUDIENCE QU'IL EUT DE SA MAJESTÉ, AU CAMP DE STREHLEN LE 7 D'AOUT 1741, ET DE LA RÉPONSE QUE LE ROI LUI FIT.297-1

Le sieur Robinson, en remettant au Roi une lettre du Roi son maître, datée du 21 de juin, lui expliqua en général le sujet de sa commission, et que le roi d'Angleterre, ayant travaillé sans relâche à porter la reine de Hongrie de s'accommoder au plus tôt à l'amiable avec Sa Majesté le roi de Prusse, l'avait chargé d'être lui-même le porteur de l'ultimatum de la cour de Vienne, qui consistait dans les propositions suivantes.

1° La reine de Hongrie demande que le roi de Prusse fasse sortir toutes ses troupes de la Silésie, au plus tôt.

2° Cette princesse se désiste de toutes ses prétentions de dédommagement des pertes qu'elle prétend avoir souffertes en Silésie, par l'entrée de l'armée du Roi dans ce pays-là, et elle offre

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3° Depayer deux millions d'écus au Roi, pour évacuer au plus tôt la Silésie.

4° La Reine veut céder en équivalent au roi de Prusse, pour les prétentions qu'il fait sur une partie de la Silésie, la partie du duché de Gueldre que la maison d'Autriche possède, avec le duché de Limbourg.

A quoi milord Hyndford ajouta que, quoique la cour de Vienne eût témoigné une répugnance invincible de ne rien céder du tout de la Silésie, Sa Majesté Britannique se flattait pourtant de pouvoir la porter d'ajouter aux offres spécifiées ci-dessus le duché de Glogau, quoiqu'on aurait bien de la peine d'y faire consentir la reine de Hongrie.

Le Roi répondit au sieur Robinson qu'il était bien obligé au roi d'Angleterre de toutes les peines qu'il s'était données pour porter la cour de Vienne à un accommodement raisonnable, mais qu'il était fâché de lui dire qu'il ne trouvait pas les conditions qu'on lui offrait telles qu'il pourrait les accepter, sans blesser sa gloire et ses intérêts lesplus considérables. Que

1° L'offre d'évacuer la Silésie, contre deux millions d'écus, lui paraissait insultante, tout comme s'il avait fait la guerre pour attraper de l'argent; qu'il n'était pas d'humeur de vendre ni sa gloire ni les intérêts de sa maison; qu'on pouvait bien faire de pareilles offres à un petit prince, comme au duc de Gotha, qui avait besoin d'argent, mais que pour lui, plus sensible à la gloire et aux droits de sa maison, il aimait mieux en donner, s'il fallait, qu'à en prendre aux dépenses de l'une et des autres de qui que ce soit, et qu'on se trompait beaucoup si l'on croyait le pouvoir faire sortir de la Silésie à force d'argent; qu'une cour aussi dérangée dans ses finances que celle de Vienne pouvait à peine trouver de quoi fournir à sesbesoins les plus pressants, et qu'on voyait bien que cet esprit de hauteur n'abandonnait point la maison d'Autriche, qui avait eu l'effronterie de dire dans le premier écrit que milord Hyndford avait lu, il y a quinze jours,298-1 au Roi, que la cour de Vienne, en considération du roi d'Angleterre, voulait bien pardonner au Roi le passé, expression que Sa Majesté releva extrêmement,

Pour ce qui regarde

2° Les offres d'un équivalent dans le duché de Gueldre, et par la cession de celui de Limbourg, le Roirépondit qu'il n'y avait point de proportion entre ces petits objets et ses prétentions, et que d'ailleurs il ne prendrait pas le change, n'ayant rien à prétendre dans les Pays-Bas, mais bien en Silésie; qu'il rougirait de honte devant ses ancêtres et sa postérité d'abandonner si lâchement ses droits sur la Silésie, après avoir commencé à les faire valoir avec tant de vigueur, et qu'il serait blâmé de tout l'univers, s'il abandonnait un pays protestant qui l'avait <299>reçu à bras ouverts, pour ainsi dire, à la fureur d'une domination catholique, qui se vengerait le plus cruellement du monde envers les pauvres peuples protestants de Silésie des bonnes dispositions qu'ils avaient témoignées pour le Roi; que sa réputation souffrirait, pour le reste de ses jours et de son règne, s'il devait passer pour avoir trop légèrement commencé une affaire, en jeune homme, sans la soutenir.

Que d'ailleurs le traité de barrièreliant absolument les mains à la maison d'Autriche pour disposer de la moindre partie des Pays-Bas, en faveur de qui que ce puisse être, et sous quelque prétexte que cela soit, on commettrait par de pareilles cessions le Roi avec les Hollandais et avec la France, que Sa Majesté voulait ménager les uns et l'autre, puisque la République de tout temps avait témoigné de l'amitié et de rattachement pour la maison de Brandebourg; qu'il ne voulait nonplus se commettre avec la France pour cela, à qui, outre cela, on fournirait, en enfreignant une fois le traité de barrière, un prétexte de demander, aussi, des cessions et des sacrifices dans les Pays-Bas; qu'on voyait bien que la cour de Vienne voulait éluder les prétentions du Roi sur la Silésie, le détourner de cet objet, et lui faire prendre le change aux dépens d'autrui, en excitant la jalousie de ses voisins contre lui.

Sa Majesté ajouta qu'elle s'était assez relâchée jusqu'ici, qu'elle avait, depuis le commencement de l'affaire de la Silésie jusqu'à présent, fait les offres les plus avantageuses à la cour de Vienne, et que, pour prouver sa modération, elle avait déclaré en dernier lieu à milord Hyndford de quelle portion de la Basse-Silésie elle voudrait secontenter. Mais comme la cour de Vienne avait rejeté entièrement cet ultimatum, le Roi dit qu'il n'y était tenu non plus, et qu'il revenait à sa première demande, qui était la cession de la Basse-Silésie avec la ville de Breslau, qu'il n'en démordrait plus désormais, au prix de tout ce qui en pourrait arriver; qu'il avait pris une fois son parti là-dessus, et qu'il se laisserait écraser avec toute sonarmée, et qu'il périrait en Silésie plutôt — ce qui étaient les propres termes de Sa Majesté — que de se désister de cette demande, et qu'il ne saurait jamais s'accommoder sur un autre pied que celui-là avec la reine de Hongrie.

Le sieur Robinson répondit que la cour de Vienne n'y donnerait jamais les mains, et qu'on aurait assez de peine de la porter à la cession du seul duché de Glogau; qu'il espérait que le Roi ferait des réflexions sur le danger où toute l'Europe se trouvait, par la perte de la maison d'Autriche, les Français étant sur le point de passer le Rhin, et les Bavarois d'entrer en Bohême; que le salut de l'Empire et la balance de l'Europe étaient entre les mains du Roi, et que le roi d'Angleterre se flattait que Sa Majesté n'abandonnerait ni l'un ni l'autre.

Le Roi répondit que, si le danger pour la maison d'Autriche était aussi grand que le sieur Robinson le disait, il étaitincompréhensible que la cour de Vienne fit tant la difficile de lui accorder ce qu'il <300>demandait en Silésie, pour sauver le reste; que c'était aucaprice et à l'opiniâtreté de cette cour même qu'il fallait s'en prendre, si la balance de l'Europe et le salut de l'Empire en souffraient; qu'on ne saurait jamais exiger du Roi qu'il dût sauver l'une et l'autre par des sacrifices et aux dépens de ses intérêts; que c'était à la reine de Hongrie, en tout cas, de conjurer l'orage et de faire des sacrifices;que le Roi avait plusieurs devoirs à remplir; que ce qu'il devait comme roi de Prusse à sa maison et à sa postérité et aux droits de ses ancêtres, était le premier soin qui devait naturellement l'occuper; que les autres considérations ne faisaient que suivre; que comme roi de Prusse et électeur de l'Empire il concourrait également à tout ce qui pouvait servir au maintien du repos de l'Europe et à la conservation de l'Empire, mais qu'il ne pouvaitfaire l'un et l'autre aux dépens de ses intérêts; qu'il ne connaissait point de puissance dans et hors de l'Empire qui le voulût faire à ce prix-là.

Le sieur Robinson insista qu'on fît dresser une espèce de préliminaire, et que le Roi déclarât qu'il voulait en tout cas, et s'il yavait moyen d'obtenir la cession de Glogau de la reine de Hongrie, s'en contenter avec les autres offres que le sieur Robinson avait faites au nom de cette princesse.

Mais le Roi répondit qu'il ne pouvait se départir de sa demande de la cession totale et absoluede toute la Basse-Silésie, la ville de Breslau y comprise, et que c'était une illusion que de se flatter qu'il manquerait de fermeté pour soutenir cette demande.

Le sieur Robinson répondit qu'il ne lui restait qu'à faire rapport au Roi son maître et à la reine de Hongrie du succès de sa commission et de la réponse qu'on lui avait donnée, et qu'il était à craindre qu'elle ne jetât la cour de Vienne au désespoir, et qu'elle ne se mît entre les bras de la France.

Le Roi répliqua qu'il n'ysaurait que faire, et qu'il faudrait voir alors comment se tirer d'affaire; que la providence et les conjonctures lui fourniraient toujours des ressources; que c'était à la cour de Vienne de bien considérer ses véritables intérêts, et de faire des propositions plus acceptables; qu'il en avait assez fait de son côté, et que le cœur lui soulevait comme à une femme grosse, quand on lui parlait toujours de nouveaux ultimatum; qu'il en avait tant donné déjà, sans que cela ait produit autre chose que de rendre son ennemi plus fier et plus opiniâtre, et qu'au bout de compte, c'était au vainqueur de donner la loi et point au vaincu; qu'il avait gagné une bataille et pris deux villes; qu'étant dans l'avantage, il serait honteuxà lui d'abandonner ses droits et un peuple protestant; que, si le zèle pour la religion pouvait animer les puissances protestantes, cela devrait être dans cette occasion-ci, à concourir plutôt à conserver un pauvre pays protestant, opprimé par le clergé catholique, sous la domination d'un prince protestant, que de le replonger dans ses premiers malheurs, qui deviendraient beaucoup plus <301>grands; qu'il se nattait que Sa Majesté Britannique, comme prince protestant, lui conseillerait etl'aiderait plutôt à conserver la Silésie qu'à l'abandonner.

Nach der Aufzeichnung von Podewils.



297-1 Vergl. Robinsons Bericht an seinen Hof bei v. Raumer, Beiträge zur neueren Gesch. II, 139; Carlyle, Frederick II, Buch XIII, Cap. II. — Robinson's Denkschrift fürden wiener Hof benutzt Droysen V, 1, 303, und andere Berichte Robinsons Grünhagen, Die Sendung Robinsons, Preussische Jahrbücher XXVII, 1875.

298-1 Vergl. oben S. 282 Anm.