6005. AU MINISTRE D'ÉTAT DE ROHD A STOCKHOLM.

Potsdam, 18 août 1753.

Vous remercierez très poliment le baron de Hœpken de ma part de la communication confidente de plusieurs nouvelles de Russie qu'il<54> vous a faite en conséquence de votre rapport du 7 de ce mois, et l'assurerez du parfait secret que je lui en garderai.

Par un retour de confiance, vous lui communiquerez ce que j'ai appris de bon lieu54-1 d'un chipotage qu'il y a eu entre le sieur Guy Dickens et les ministres de Russie par rapport à la marche d'un gros corps de troupes russiennes dans la Livonie et aux environs, savoir que ledit sieur Guy Dickens ayant eu ordre du Roi son maître de négocier contre des subsides un corps de troupes russiennes pour être prêt en Livonie et près de la Mer Baltique à marcher sur la réquisition de ce Prince, en cas que j'attaquerais ses États d'Hanovre, le chancelier Bestushew s'était donné tous les mouvements imaginables pour faire consister ce traité. Comme par ses représentations il obtint l'agrément de sa souveraine afin d'entrer en négociation avec Guy Dickens là-dessus, il proposa à celui-ci que la Russie ferait assembler en Livonie et à la Mer Baltique jusqu'à 70,000 hommes de ses meilleurs troupes afin de pouvoir en cas d'évènement agir d'abord avec vigueur et force, et que pour avoir une bonne réserve on lèverait sans délai 60,000 recrues, tout cela contre un subside de trois millions d'écus d'Hollande que l'Angleterre paierait au cas de la réquisition des troupes, et d'un million d'écus encore pour les tenir prêtes.

Ce qu'il y a eu de plus surprenant dans la conduite des ministres russiens, c'est que nonobstant que l'impératrice de Russie n'avait pas encore signé ces propositions, et que le ministre anglais même n'en fût instruit d'une manière détaillée, et que cette négociation était donc si peu parvenue à sa consistance, n'étant d'ailleurs ni connues, ni agréées du roi d'Angleterre, les ministres de Russie firent néanmoins déjà tous les arrangements militaires, comme si l'affaire était entièrement parvenue à sa maturité, de sorte que la disposition était que cinq régiments d'infanterie avec autant de régiments de dragons dont les quartiers étaient des plus proches de la Livonie, y entreraient au premier ordre, tandis que d'autres régiments, plus éloignés de la frontière, occuperaient immédiatement après les quartiers que ceux-là viendraient de quitter. Que les Cosaques devraient avancer et se mettre à portée, qu'on lèverait pour réserve 60,000 recrues, et qu'on expédierait des ordres à Pétersbourg pour mettre incessamment les galères qui s'y trouvaient, en état de pouvoir mettre à la voile au premier ordre.

En attendant, comme le sieur Guy Dickens n'osa prendre sur soi un engagement d'un si gros subside qu'on demandait, il dépêcha son courrier pour porter ces propositions à sa cour, mais qui, à ce que je viens d'apprendre de bon lieu,54-2 a renvoyé depuis peu ce courrier, portant au sieur Guy Dickens une réponse polie à ces propositions pour remercier la Russie des bons sentiments qu'elle avait témoignés en faveur de l'Angleterre, mais d'ailleurs absolument déclinatoire pour des<55> subsides, en sorte que le Chancelier verra par là son plan échoué et que l'affaire restera là.

En racontant tout ceci au baron de Hœpken dans quelque conversation particulière que vous aurez avec lui, vous le prierez instamment de ma part de vouloir bien me garder un secret inviolable làdessus, tout comme sur les particularités suivantes que vous lui communiquerez encore : c'est que j'ai appris que la cour de Copenhague a un dessein formé sur la Scanie dont elle voudrait dépouiller la Suède à la première occasion qu'elle trouverait favorable pour exécuter son plan. Que quelque chimérique que ce plan paraisse être, on me le soutient malgré cela pour véritable, en m'assurant que le dernier voyage que des officiers danois avaient fait à Landskrona et en Scanie, n'avait eu pour but que de reconnaître ce pays-là. Que malheureusement le baron de Fleming ne s'apercevait pas de ce dessein, se fiant aux paroles flatteuses que le ministre de Bernstorff lui donnait pour l'endormir, mais qu'on se prenait si mal à Copenhague sur ce dessein qu'on ne saurait s'y méprendre, et que les susdits officiers, après leur retour de la Scanie à Copenhague, sauvaient si peu les apparences qu'on les voyait agités et en conférences entre eux et avec leurs chefs relativement à ces affaires.

Quant à moi, qui ne sais pas encore me décider entièrement sur la réalité de ce plan, je suis d'opinion qu'il y a peut-être quelque concert entre le roi de Danemark et celui de l'Angleterre55-1 qu'au cas d'une guerre en Allemagne le Danemark devrait alors attaquer la Suède dans la Scanie, afin de l'occuper par là et l'empêcher à pouvoir se mêler de cette guerre en Allemagne. Je finis en vous recommandant encore un secret impénétrable sur ces sujets et de n'en parler que dans la dernière confidence au baron de Hœpken.

Federic.

Nach dem Concept.



54-1 Vergl. S. 22 Anm. 1.

54-2 Vergl. S. 51.

55-1 Vergl. S. 47. 49. 50.