A.
Promemoria.

Moscou, 15 avril 1753 styli veteris.

Il n'y a que peu de temps que le soussigné envoyé extraordinaire de Sa Majesté Britannique eut l'honneur de remettre à Leurs Excellences, le haut ministère de Sa Majesté Impériale de toutes les Russies, une copie imprimée d'un mémoire80-1 présenté au duc de Newcastle par M. Michell, secrétaire d'ambassade de Sa Majeste le roi de Prusse, de même qu'un autre imprimé intitulé Exposé des motifs du Roi etc. etc.,80-2 touchant les prétendus torts et injustices faits aux sujets de Sa Majesté Prussienne, pendant la dernière guerre, par des armateurs anglais qui s'étaient saisis de quelques vaisseaux ou effets, que lesdits sujets prussiens avaient réclamés comme leur appartenants, en conséquence de quoi et des procédures d'une cour et jurisdiction étrangère que le roi de Prusse, contre la pratique notoire de toutes les nations dans des cas semblables, avait érigée, il a jugé à propos, comme Leurs Excellences, le haut ministère de Sa Majesté Impériale, l'auront vu, de faire arrêt sur les capitaux dus aux sujets britanniques sur la Silésie. Le même envoyé extraordinaire accompagna en même temps ces deux pièces de la réponse qui y avait été faite par le duc de Newcastle par ordre du Roi,80-3 et du rapport des personnes à qui Sa Majesté Britannique avait envoyé l'examen de ces plaintes.

Quiconque examinera mûrement toutes les pièces ci-dessus mentionnées, ne saura s'empêcher, l'on s'en flatte, de convenir de l'irrégularité du procédé de la cour que le roi de Prusse a érigée, pour prendre connaissance de cette affaire, et de la conduite qu'il a tenue en conséquence, de même que de la manière amiable avec laquelle Sa Majesté Britannique tâche de porter le roi de Prusse à remédier au tort fait à ses sujets et à prévenir par là les dangers auxquels la tranquillité publique pourrait être exposée; mais, nonobstant toutes les peines que Sa Majesté Britannique s'est données, provenant de son désir ardent de maintenir la paix, il y a lieu de craindre que, parceque Sa Majesté Britannique ne peut et ne veut pas sacrifier les justes droits et intérêts de ses sujets de la Grande-Bretagne aux dispositions arbitraires de ce Prince, qu'il ne médite de soutenir une injustice par une autre plus criante, s'il est possible, en attaquant les États du Roi en Allemagne; du moins les préparatifs qu'il fait sur les frontières desdits États, favorisent beaucoup et confirment en quelque manière ce sentiment; car, selon les avis du Roi, l'on y achète grand nombre de chevaux d'artillerie et y forme des magasins considérables de fourrage et de provisions de toutes sortes, ni doit-on passer sous silence le campement qui doit sûrement se former cet été près de Berlin de 50,000 hommes, qui pourra vraisemblablement avoir le même objet.

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Toutes ces raisons ci-dessus alléguées ont engagé Sa Majesté Britannique d'envoyer ordre à son soussigné envoyé extraordinaire d'exposer aux yeux de Sa Majesté Impériale de toutes les Russies et de ses ministres la présente situation des affaires entre elle et la cour de Berlin et de leur représenter en son nom que, si, nonobstant tous les soins imaginables dont on se sert pour l'empêcher, le roi de Prusse, pour soutenir ses violences contre les droits et intérêts des sujets de la Grande-Bretagne et en conséquence des ces violences — colorées de quelques autres prétextes que ce puissent être — vînt attaquer les États du Roi en Allemagne, Sa Majesté Britannique se croit en droit de réclamer l'assistance et les secours spécifiques stipulés dans les alliances défensives qu'elle a avec les puissances les plus considérables de l'Europe, et d'insister qu'elles reconnaissent — comme le Roi ne doute point qu'elles le feront — aucunes voies de fait commises par le roi de Prusse contre aucune partie de ses États en Allemagne, pour casus fœderis.

Le cas parle de lui-même, car la présente dispute étant uniquement entre la Grande-Bretagne et la cour de Berlin, Sa Majesté serait privée de l'assistance réciproque stipulée entre elle et ses alliés, si elle lui manquait, lorsqu'il était question de soutenir les droits de sa couronne contre ceux qui voudraient les enfreindre ou envahir sous quelque prétexte que ce fût. De plus, rien n'est plus fort ni plus formel que les engagements dans lesquels l'Impératrice est entrée par les alliances défensives des années 1741 et 174281-1 et par l'accession du Roi au traité de 1746,81-2 par lesquels Sa Majesté Impériale s'est mise sous l'obligation de venir à l'assistance du Roi et de fournir les secours stipulés par ces traités, en cas que Sa Majesté Britannique fût attaquée de la manière dont il a été fait mention.

Nonobstant cet exposé, le soussigné envoyé extraordinaire doit cependant avoir l'honneur de faire savoir au haut ministère de Sa Majesté Impériale que l'amitié et la considération du Roi son maître pour l'Impératrice sont telles qu'il souhaite rendre cette même assistance, à laquelle il a droit de prétendre de la part de Sa Majesté Impériale, la moins onéreuse qu'il est possible.

Le Roi veut toujours se flatter que le roi de Prusse prêtera l'oreille aux représentations qui lui ont été faites; mais, si le contraire arrivait et qu'en conséquence des violences qu'il a commencées contre les justes droits des sujets britanniques et de la protection que le Roi ne peut leur refuser, ce Prince se déterminât à attaquer les États d'Hanovre, le soussigné a ordre de s'informer si, dans ce cas, l'Impératrice serait disposée de venir au secours de Sa Majesté Britannique avec un corps de 30 à 40,000 hommes, en y joignant un corps de Cosaques et de Kalmouks, et faire une diversion dans les États du roi de Prusse du<82> côté de Courlande. En même temps, Sa Majesté Britannique souhaiterait, aussi, qu'une autre diversion se fît du côté de la Poméranie par un corps convenable de troupes, qui pourrait être transporté sur les galères. Si Sa Majesté Impériale, par son égard pour la justice et pour le soutien de ses alliés et de la bonne cause, est portée à se prêter à des arrangements semblables, Sa Majesté Britannique promet que, du jour que ces troupes sortiront de leurs quartiers pour commencer de telles opérations, soit par terre soit par mer, elle donnera un subside proportionné au nombre des troupes qui seront employées à ces expéditions, lequel subside sera continué aussi longtemps que ces troupes resteront au service de la Grande-Bretagne, et, s'il arrivait heureusement par ce moyen que les troubles cessassent bientôt, alors et dans ce cas-là même le Roi consent qu'une partie de ce subside soit encore payée pendant un certain terme dont on pourra convenir.

Combien les intérêts et l'indépendance de plusieurs autres puissances et en particulier ceux de Sa Majesté Impériale souffriraient par l'agrandissement ultérieur du roi de Prusse, ce qui arriverait immanquablement, si Sa Majesté Britannique n'était pas efficacement soutenue et secourue, est trop clair pour échapper à la pénétration de Sa Majesté Impériale et de ses ministres. C'est pourquoi les alliés du Roi ne sauraient que sentir la nécessité de pourvoir à la sûreté de Sa Majesté Britannique, puisqu'autrement elle se verrait hors d'état de contribuer à la leur, quand les circonstances le requerraient

Toutes ces considérations ne manqueront pas, l'on est persuadé, d'accélérer la résolution de Sa Majesté Impériale, et comme d'un côté il paraît par ce que le soussigné a eu l'honneur de détailler ci-dessus, que Sa Majesté Britannique renonce en quelque partie et manière aux secours qu'elle est en droit de réclamer par les traités, l'on veut se flatter de l'autre que cela induira cette cour à rendre le moins onéreux qu'il est possible les nouveaux engagements dans lesquels le Roi est prêt d'entrer, d'autant plus que ces troupes ne causeront aucune dépense extraordinaire jusqu'à ce qu'elles sortent de leurs quartiers. Sa Majesté Britannique ne juge pas à propos de fixer elle-même le subside pour le corps de troupes qu'elle demande, comme cela dépend du nombre dont il sera composé; mais, pour ne pas perdre de temps, le soussigné a ordre d'en venir, le plus tôt qu'il sera possible, à des éclaircissements précis avec le haut ministère de Sa Majesté Impériale sur ces deux points, à savoir

1° Du nombre des troupes, tant infanterie que cavalerie ou troupes légères, que l'on peut fournir ici, et

2° Du subside que l'on en demande, auquel le Roi sera prêt à donner son consentement au retour du courrier qui portera la réponse de Sa Majesté Impériale, si les conditions sont telles qu'il a lieu de l'espérer de son amitié et de son équité.

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Le grand éloignement des deux cours et les cas soudains et imprévus qui peuvent arriver, feront sentir ici, l'on espère, comme en Angleterre, la nécessité d'une prompte résolution et expédition dans la négociation dont le soussigné a l'honneur d'être chargé. Un autre point qui ne mérite pas moins d'attention, est que, quand Sa Majesté Impériale aura les sûretés nécessaires touchant les subsides que le Roi doit payer, le général qui commandera en chef les troupes en Livonie, ait ordre de marcher à la première réquisition qui lui en sera faite de la part de Sa Majesté Britannique, ce qui n'arrivera pas très assurément, à moins que les États du Roi ne soient actuellement attaqués par le roi de Prusse.

Le zèle que Sa Majesté Impériale a si souvent fait voir pour le soutien de ses alliés et de l'équilibre de l'Europe, ne manquera pas, l'on est sûr, de se manifester avec la même ardeur dans cette occasion. Son honneur, sa gloire, les forces respectables que la Providence lui a mises en main, le service, l'intérêt et la sûreté de ses propres États et certaines autres considérations qui ne sont pas inconnues ici, font voir la nécessité qu'il y a que Sa Majesté Impériale concoure sans délai dans les mesures salutaires qui ont été proposées pour le maintien de la paix et de sa propre indépendance, aussi bien que de celle de ses alliés.

Le soussigné, en se recommandant très humblement à la haute bienveillance de Sa Majesté Impériale, ne saurait s'empêcher de réitérer sa prière, à savoir que, vu le grand éloignement des deux cours et les cas soudains et imprévus qui peuvent arriver, le haut ministère de Sa Majesté Impériale veuille bien lui faire avoir, le plus tôt qu'il sera possible, une réponse aux importantes représentations qu'il vient de faire par ordre du Roi son maître. Il est inutile, à ce que le soussigné croit, de faire remarquer le grand secret avec lequel il sera nécessaire de conduire cette négociation jusqu'à sa conclusion, crainte que le roi de Prusse, s'il en a le moindre vent, ne prévienne Sa Majesté Britannique et ses alliés, comme il l'a fait avec la Saxe pendant la dernière guerre.

M. Guy Dickens.

Moscou, 27 avril 1753 [styli veteris].

Le soussigné envoyé extraordinaire, en relisant les dépêches que le dernier courrier lui a apportées, trouve qu'il est nécessaire qu'il ajoute ce supplément au promemoria qu'il eut l'honneur de présenter à Leurs Excellences, le haut ministère de Sa Majesté Impériale, le 15 du courant, pour leur faire savoir que M. Keith, ministre de Sa Majesté Britannique à Vienne, ayant fait les mêmes représentations et réquisitions là que le soussigné a faites ici touchant le casus fœderis, en cas que Sa Majesté Britannique fût attaquée dans ses États d' Allemagne par le roi de Prusse, pour avoir soutenu les justes droits<84> de ses sujets de la Grande-Bretagne, Leurs Majestés Impériales y ont répondu de la manière la plus amiable et la plus cordiale et déclaré en termes précis et formels qu'elles étaient prêtes d'entrer dans aucunes mesures que Sa Majesté Britannique jugerait à propos pour maintenir la tranquillité publique et pour sa propre sûreté et défense contre aucunes violences que Sa Majesté Prussienne lui pourrait faire.

Telles étant les dispositions de la cour de Vienne, le soussigné envoyé extraordinaire ne saurait avoir le moindre doute que cette cour ne soit portée à concourir avec le même zêle et ardeur à assister efficacement Sa Majesté Britannique contre aucunes entreprises hostiles de la part du roi de Prusse et à contribuer par là au maintien de la tranquillité publique, laquelle il y a lieu de croire que Sa Majesté Prussienne ne hasardera pas de troubler à la légère, si elle voit qu'une Princesse d'une puissance aussi formidable que Sa Majesté Impériale est dans la ferme intention de la soutenir.

Guy Dickens.




80-1 Vergl. Bd. IX, 225.

80-2 Vergl. Bd. IX, 176 Anm. 2.

80-3 Bd. IX, S. 349.

81-1 Vergl. Bd. II, 357.

81-2 Vergl. Bd. VIII, 205 Anm. 2.