6082. AU LORD MARECHAL D'ÉCOSSE A FONTAINEBLEAU.

[Berlin], 23 [octobre 1753].

J'ai le bonheur, mon cher Milord, d'être très indifférent sur tous les propos et sur tous les écrits qu'on débite sur mon compte,135-2 et même je suis tout glorieux de valoir des honoraires à un pauvre auteur qui mourrait peut-être de faim sans toutes les injures qu'il me dit. J'ai toujours méprisé les jugements du public et je n'ai considéré dans ma conduite que l'aveu de ma conscience. Je sers l'État avec toute la capacité et toute l'intégrité que la nature m'a départies; quoique mes talents soient faibles, je n'en suis pas moins quitte envers l'État, car on ne saurait donner plus qu'on a soi-même, et d'ailleurs c'est une des choses attachées au caractère de personne publique que de servir de plastron à la critique, à la satire, souvent même à la calomnie. Tous ceux qui ont gouverné des États sous les titres de ministres, de généraux, de rois, ont essuyé des brocards; je serais fort fâché d'être le seul qui eût un sort différent, je ne demande point de réfutation du livre, ni punition de l'auteur, j'ai lu ce libelle avec beaucoup de sang-froid et l'ai même communiqué à quelques amis. Il faut être vain plus que je ne suis pour se fâcher de ces sortes d'éclaboussures que tout passant peut recevoir en son chemin, et il faudrait être moins philosophe que je le suis pour se croire parfait et au-dessus de la critique. Je vous assure, mon cher Milord, que les injures de l'auteur anonyme n'ont pas répandu le moindre nuage sur la sérénité de ma vie, et qu'on ferait encore dix<136> brochures polémiques de ce genre, sans déranger en rien ma façon de penser et d'agir.

La mort inopinée du comte Münchow m'oblige de faire un voyage en Silésie pour y régler mes affaires,136-1 ce qui fera que vous serez peut-être dix jours sans recevoir des nouvelles de moi détaillées; mais, comme les affaires reposent à présent, je me flatte que ce petit intervalle d'inaction ne dérangera pas les miennes. Adieu, mon cher Milord, je vous embrasse de tout mon coeur.

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig. In Dorso von der Hand des Empfängers: „Du Roy du 23 octobre 1753.“



135-2 Vergl. S. 59 Anm. 3.

136-1 Vergl. S. 123.