6090. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A FONTAINEBLEAU.

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Lord Marschall von Schottland berichtet, Fontainebleau 18. October: On mande au marquis de Saint-Contest „qu'on inclinait en Angleterre à exercer des représailles sur mer envers Votre Majesté, mais que, comme on prévoyait les suites qu'une pareille démarche pourrait avoir, on voulait aussi, avant de s'y porter, lier un parti assez considérable pour tenir les États de Votre Majesté en échec et L'empêcher de prendre Sa revanche sur les pays d'Hanovre; que la cour de Vienne et celles de Russie et de Saxe étaient les puissances sur lesquelles on avait jeté les yeux pour cet effet, et que la première travaillait de toutes ses forces pour tâcher de donner de la consistance à ce projet et en préparer les ressorts. Tous ces préparatifs n'alarment cependant pas M. de Saint-Contest à un certain point. Il persiste à se flatter que le ministère anglais ne se déterminera jamais à accorder à la Russie les subsides exorbitants qu'elle demande, et que sa fierté se ralentira avec le temps.“

Breslau, 2 novembre 1753.

J'ai bien reçu la dépêche que vous m'avez faite en date du 18 de ce mois, et ne veux point vous dissimuler, avant tout, qu'il m'a fait bien de la peine d'y voir que tout ce que l'on a marqué de Londres à M. de Saint-Contest touchant la disposition du ministère anglais à mon égard, n'ait point été capable de lui donner des alarmes. Cependant, comme les choses deviennent de jour en jour plus sérieuses, de sorte que je crois que, si l'on pense en France à prévenir les suites, [il n'est que temps], ma volonté est que vous direz de ma part à M. de Saint-Contest dans quelque entretien que vous chercherez exprès d'avoir avec lui, qu'il m'était revenu des avis de Londres tout conformes à ceux qu'il en avait reçus, hormis que les miens ajoutaient que le roi d'Angleterre et les ministres paraissaient très contents des arrangements pris à ce sujet et s'imaginaient que, dès qu'ils avaient la Reine à leur disposition, ils auraient les mains libres d'agir selon leurs vues, sans avoir à craindre l'insulte; qu'on ne saurait plus se flatter que le ministère anglais ne se déterminerait jamais à donner de gros subsides aux Russes; que les assurances toutes positives qu'ils avaient données aux deux cours impériales de le faire dans le courant de l'année qui vient, témoignaient tout le contraire, et que le roi d'Angleterre, ayant fait faire aux ministres le premier pas, saurait bien les pousser plus loin, surtout ayant le nouveau Parlement à sa disposition. Qu'en conséquence de tout ceci je laissais juger à M. de Saint-Contest si le moment n'était pas venu où il serait de la dernière nécessité de prévenir un feu caché sous les cendres, mais bientôt prêt à éclater, et qui, une fois pris l'air, ne manquerait pas d'entraîner une combustion

 

presque générale de toute l'Europe; que, si la France laissait aller plus longtemps les affaires avec indifférence, il en arriverait que, dès que l'Angleterre aurait lié tout-à-fait ses parties avec les deux cours impériales, de concert avec l'Angleterre, [elles] me mettraient les choses d'aussi près que, poussé à bout et lassé de patience, je me verrais obligé par honneur de rompre avec eux.

Que, pour prévenir donc à temps encore ces fâcheuses suites, je croyais convenir que la France fît dès à présent, et avant que l'Angleterre serait d'accord avec les deux cours impériales, quelque déclaration vigoureuse aux Anglais par rapport aux démarches qu'on lui voyait faire, et qu'on leur fît comprendre que la France ne les verrait point indifféremment. Qu'il était sûr qu'une telle déclaration, faite à propos et à temps encore, donnerait bien à penser aux ministres anglais et préviendrait bien des suites, et que j'avais mis en mains de la France tant d'expédients144-1 pour aplanir mes différends avec les Anglais, qu'on ne saurait douter du succès, pourvu que la France en ferait un bon et convenable usage; mais qu'aussi, si l'on continuait à laisser prendre les choses tel train qu'elles voudraient, j'appréhendais qu'alors la guerre ne fût inévitable, qui d'ailleurs ne convenait ni à la France ni à moi, bien entendu que pas à pas les affaires s'embrouilleraient de la sorte qu'il n'y aurait plus moyen d'y remédier. Vous ajouterez, quoiqu'avec adresse et délicatement, qu'en conséquence de tout ce que dessus M. de Saint-Contest verrait que je n'avais pas eu tout-à-fait tort, quand j'avais été d'avis qu'il fallait exciter la jalousie de la Porte Ottomane contre les Russes et les Autrichiens,144-2 et qu'on s'apercevait assez clairement que, quand ils avaient à présent les mains libres de ce côté - là et que la Porte ne leur faisait plus d'ombrage, ils les tournaient de notre côté. Qu'au surplus, si l'Espagne pouvait être animée de parler de haut ton par rapport au commerce dans l'Amérique, cela rendrait plus attentifs les Anglais pour user de plus de considération envers la France.

Je finis en vous disant que je comprends bien toute la difficulté que vous aurez à faire ces insinuations, mais vous vous appliquerez au moins de faire envisager à M. de Saint-Contest que la situation présente des affaires est telle qu'il convient de se servir des moyens pour conserver la paix, quand les circonstances le permettent encore, que de vouloir y procéder, quand il n'y aura plus temps de le faire.

Au reste, je serais bien aise que vous imprimiez bien en votre mémoire tout ce qui est dessus, afin de l'exprimer convenablement à M. de Contest, et vous serez bien attentif sur la réponse qu'il vous fera, pour m'en pouvoir faire un rapport exact et bien détaillé.

Federic.

Nach dem Concept.

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144-1 Vergl. S. 1. 55. 108.

144-2 Vergl. Bd. IX, 232. 286.