6093. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A FONTAINEBLEAU

Potsdam,8novembre 1753.

Les rapports que vous m'avez faits du 25 et du 28 du mois dernier d'octobre, me sont heureusement parvenus. Il sera nécessaire qu à la fin vous parliez bien sérieusement à M. de Saint-Contest; comme le biais que le roi d'Angleterre prend, commence a devenir sérieux, il faut nécessairement entrer en explication avec le susdit ministre. Je me suis tu bien longtemps, lorsque les Russes ont été assemblés sur mes frontières, et je n'en ai dit aucun mot, pour ne point inquiéter les Français mal à propos; mais à présent, comme il s'agit de voir éclater une nouvelle guerre ou de travailler incessamment pour l'éviter, je suis oblige<147> de parler bon français au roi de France et à son ministère, au hasard de les mettre de mauvaise humeur.

Le projet de la grande alliance du roi d'Angleterre roule sur deux points principaux : l'un, l'élection d'un roi des Romains, qu'il veut brusquer à la faveur de cette formidable alliance; l'autre, c'est l'affaire des déprédations des vaisseaux prussiens, qu'il croit, à la faveur de la Russie, soutenir haut à la main.

A l'égard du premier article, mes sentiments vous sont connus, et je vous ai déjà informé que j'étais fortement du sentiment qu'il ne nous convenait point de laisser brusquer l'élection, mais de porter plutôt l'Électeur palatin à un accommodement qui procurera une élection unanime. Comme cette matière s'est débattue, il y a longtemps, nous sommes convenus avec la France que le sujet ne valait pas la peine de faire la guerre;147-1 mais il serait contre la dignité de la France, aussi bien que contre celle des États de l'Empire, que l'élection se fît avec force et contre les constitutions du Corps Germanique. Pour éviter, par conséquent, toutes les suites fâcheuses que pourrait avoir la force et la violence employées dans cette élection, il est de la prudence de les éviter, à présent qu'il en est temps encore, en conseillant ou en instigant l'Électeur palatin de signer son traité avec la cour de Vienne.

Quant au second point, qui me regarde personnellement, je me trouve obligé de m'expliquer assez sérieusement et confidemment avec eux. Je leur rappelle le projet du roi d'Angleterre que je vous ai déjà marqué par ma dépêche du [2 novembre]. Quant à moi, j'assure positivement la France que je ferai de mon côté tous les pas que je pourrai faire avec honneur, pour éviter la guerre, mais qu'aussi aucune considération de l'univers, ni la formidable alliance de mes ennemis, ni la supériorité de leurs troupes, ni le nombre de leurs ressources ne m'obligeront à plier devant la fierté du roi d'Angleterre; ainsi que, si la France est dans le sentiment de vouloir maintenir la paix, je la prie de penser bien sérieusement et réellement aux moyens de la conserver, et je crois qu'il en est temps encore, mais je ne jurerais pas que ce qui est possible à présent, le serait encore en six semaines ou en deux mois. L'alliance n'est pas conclue à présent avec la Russie; les Anglais se sont offerts à payer 70,000 livres sterling de paix. Il faudra savoir si ces propositions seront reçues de la Russie. Le projet est d'ailleurs d'y engager la Saxe après, et je sais de bon lieu que le comte Brühl a déclaré que la Saxe était prête à signer, dès que le roi d'Angleterre y serait accédé pour son électorat.

Les deux seuls moyens donc que je crois pour arrêter le roi d'Angleterre, sont que la France voudrait bien faire une déclaration bien ferme au ministre d'Angleterre, auquel la France pourrait confier<148> ses sentiments et lui parler net et clair, et de remuer d'ailleurs les Turcs contre les Russes.

En expliquant bien intelligiblement tout ce que dessus à M. de Saint-Contest, vous ajouterez que je priais les Français de suivre toutes les manières artificieuses de la cour de Londres depuis la dernière paix faite à Aix, et que je ne doutais pas qu'ils n'y trouveraient un système suivi et bien arrangé pour affaiblir la France.148-1 Que l'Angleterre et ses alliés avaient trouvé moyens d'en détacher l'Espagne;148-2 que la cour de Vienne, pour augmenter ses forces et pour avoir la supériorité en Italie, avait fait un traité avec le duc de Modène;148-3 que le roi d'Angleterre travaillait actuellement à la grande alliance entre la cour de Vienne, la Russie, la Hollande, la Saxe et l'électeur d'Hanovre; que, non content de cela, il tâchait encore de remuer le Danemark et de détacher cette puissance de l'alliance de la France et des intérêts de ses alliés.148-4 Que, s'il tombait sur moi et cherchait à m'abîmer, le contre-coup ne manquerait pas de se faire ressentir à la France, mais que je n'avais pas besoin de faire sentir à des ministres aussi habiles et éclairés qu'eux les intérêts de la France; qu'ainsi je me bornais simplement à leur conseiller de prévenir les maux de la guerre, puisqu'il en était encore temps, et de ne pas laisser échapper des moments qui ne reviendraient jamais; que j'avais lieu de présumer que la politique jusqu'à présent timide des Pelham serait arrêtée par une déclaration ferme et verte de la part de la France, et que je ne croyais pas que ces gens voudraient entreprendre une guerre générale, en cas que la France voudrait leur déclarer quelles en seraient les suites, si l'on m'attaquait.

Au reste, ma volonté est que, quand vous parlerez en conséquence de tout ce qui est dessus, à M. de Contest ou d'autres ministres français, vous ne devez point faire la petite bouche, mais leur parler avec franchise et énergiquement, puisque, dans une occasion aussi importante et critique que celle-ci, il n'y a rien à dissimuler : aussi leur glisserez-vous que, s'ils voulaient continuer à ne rien faire ni dire à l'Angleterre à mon égard, je serais forcé, à la fin, de faire parler le sieur Michell, mon chargé d'affaires, à Londres.

Au reste, je ne sais si vous trouvez convenable de dire encore à M. de Contest combien les suppôts de l'Angleterre à la cour de Copenhague s'étaient donné des mouvements pour remplir de fausses idées de la France l'esprit du roi de Danemark, savoir du mauvais état du militaire et des finances, de la faiblesse du gouvernement présent et des affaires du Parlement, impressions qu'on ne manquait pas de donner audit Prince, pour l'éloigner de la France et le faire entrer dans un système opposé. J'abandonne à votre pénétration si vous<149> croyez convenable d'informer M. de Contest de ces menées, auquel cas cependant vous ménagerez les termes sur cette confidence, de manière que vous ne l'en sachiez fâcher, M. de Contest, par de pareilles confidences.

C'est avec impatience que j'attendrai votre rapport ample et détaillé sur les insinuations susdites à faire à M. de Contest et sur le résultat dont il sera convenu là - dessus avec vous.

Federic.

Nach dem Concept.



147-1 Vergl. Bd. VIII, 127. 161. 515.

148-1 Vergl. Bd. VIII, 181. 219. 250. 295. 462. 568.

148-2 Vergl. Bd. IX, 117.

148-3 Vergl. S. 133.

148-4 Vergl. S. 113.