6488. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A FONTAINEBLEAU.

Potsdam, 19 octobre 1754.

J'ai reçu votre rapport du 7 de ce mois, à l'occasion duquel, et en partie des autres que vous m'avez faits antérieurement, je me vois obligé de vous dire que je suis mécontent de ce que vous recommencez depuis peu à donner dans la même faute dont je vous avais corrigé ci-devant444-2 et que vous composez vos rapports si superficiellement que je ne saurais souvent que les apprécier aux nouvelles de la poissonnerie ou me persuader tout au plus que vous les tiriez de ce que peut-être deux ou trois dames de votre connaissance ont dit devant leurs toilettes. Comme je ne saurais absolument pas me contenter de rapports superficiels de mes ministres, je demande à vous que vous deviez les rendre plus intéressants et assez circonstanciés, et que surtout vous ne deviez pas passer légèrement sur les affaires, mais bien y entrer, en me les représentant dans toute leur étendue, avec des réflexions justes et solides, et ne pas par exemple me parler de l'Espagne sans ajouter comment elle est intentionnée pour la France. C'est aussi en conséquence qu'il faut que vous fréquentiez plus le grand monde qu'il ne me paraît pas que vous le fassiez, et que vous parliez à toute<445> espèce de gens capables à vous fournir de bonnes informations sur des choses intéressantes.

Après que cela vous soit dit, je veux bien vous informer que je viens d'apprendre par de bons canaux que la cour de Russie a instruit son résident à Constantinople de répondre aux ministres de la Porte au sujet de la déclaration qu'ils lui avaient faite touchant la nouvelle forteresse que la Russie fait construire dans la Nouvelle Servie, qu'on ne refuserait pas de satisfaire la Porte, en désistant de ce dessein, si ce fort ne devenait pas indispensablement nécessaire, et qu'en conséquence on espérait que la Porte n'exigerait pas l'impossibilité, d'autant que le traité n'interdisait pas la construction de forteresses dans ces endroits, que la Russie n'entreprenait que pour la sûreté de la colonie établie sur la frontière contre des vagabonds qui y ravageaient le pays. Qu'au reste ledit résident doit être instruit de tâcher par ses représentations d'empêcher que la Porte n'entreprenne rien de contraire aux intérêts de la Russie et que surtout elle ne suive pas son inclination de s'en plaindre à la France, et que les ministres des cours alliées à la Russie étaient instruits d'en retenir la Porte par leurs représentations; qu'on en espérait que la Porte, qui peut-être n'était qu'animée par d'autres, s'apaiserait d'elle même, après qu'on aurait fait accroire au Reïs-Effendi et aux autres ministres indifférents que la forteresse de Sainte-Élisabeth n'était point proche des frontières, mais dans le pays de la domination de Russie.

Vous ne laisserez pas de communiquer fidèlement et en détail et de bouche toutes ces anecdotes intéressantes à M. de Rouillé, après lui en avoir demandé le secret de ma part comme la suite de ce que je lui ai déjà fait communiquer confidemment par vous sur ces objets,445-1 sur lesquels je suis à attendre encore vos rapports.

Comme le sieur Darget445-2 m'a prié de vouloir bien m'intéresser pour lui auprès de M. de Séchelles, contrôleur général des finances, afin qu'il veuille bien à ma considération lui donner quelque poste dans les sous-fermes ou dans quelques autres affaires de finances, mon intention est que vous devez prendre quelque occasion convenable, et, si cela se peut, avant le départ de la cour pour Fontainebleau,445-3 pour présenter audit ministre le sieur Darget comme un homme qui avait été en mon service, et pour l'avantage duquel je m'intéressais encore, vu les fidèles services qu'il m'avait rendus, et la sage et bonne conduite qu'il avait observée depuis tout le temps qu'il m'avait été attaché.

Federic.

Nach dem Concept.

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444-2 Vergl. S. 410. 418.

445-1 Vergl. S. 433.

445-2 Vergl. Bd. IX, 460.

445-3 Knyphausen war dem Hofe bereits am 12. October nach Fontainebleau gefolgt.